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DE VOLTAIRE.

M. de Voltaire a dicté plusieurs lettres pendant les derniers jours de sa vie ; mais la seule qu’il ait pu achever est une lettre qu’il écrivit au fils de l’infortuné Lally, pour le féliciter de la cassation de l’arrêt du parlement qui condamna son père à perdre la tête sur un échafaud. M. de Voltaire, qui avait pris toute cette affaire fort à cœur, et qui avait même fait un mémoire très-beau pour le fils de Lally, fut fort touché du succès de ses soins à cet égard ; il avait même fait attacher dans sa chambre l’arrêt du conseil rendu en faveur du fils de Lally. C’était pour lui l’objet d’un souvenir doux de penser qu’il avait encore employé les dernières étincelles de son éloquence et de ses talents à la défense d’un innocent. Il a voulu dicter depuis plusieurs autres lettres à différentes personnes, mais il ne put jamais les achever, sa tête se perdait par intervalles. Le jour de sa mort, il ne cessa presque un moment d’avoir sa présence d’esprit ordinaire ; il donna même quelques espérances de le voir se rétablir, mais il sentait son état et ne s’en dissimulait pas le danger, car lorsque le curé de Saint-Sulpice et l’abbé Gaultier furent partis, il appela un de ses plus anciens domestiques, nommé Maraud, et, après lui avoir pris tendrement la main, il lui dit adieu et lui ajouta : Mon ami, je suis un homme mort. Quelque temps avant de s’éteindre tout à fait, il ouvrit ses yeux, qui parurent encore pleins de vie et d’éclat ; alors il soupira trois fois et mourut, sans qu’il parût sur son visage la moindre altération. On peut dire de ce grand homme ce que Tacite a dit de son beau-père Agricola : Sa perte, déplorable pour sa famille, triste pour ses amis, n’a pas même été indifférente aux inconnus et aux étrangers. Tous, jusqu’à cette populace que toute autre chose occupe, venaient s’informer de son état. C’était le sujet des conversations particulières et publiques. Ce passage de Tacite convient parfaitement à M. de Voltaire, et c’est par lui que je finirai cette longue lettre. Vous pouvez compter, mon prince, sur l’exactitude rigoureuse de tous ces faits, je les tiens de M.. . . . ., ami intime de M. de Voltaire, et qui ne l’a pas quitté un instant pendant tout le temps de sa maladie. Je dois aussi plusieurs particularités à mon ami M.. . . . ., qui voyait M. de Voltaire trois et quatre fois par jour, et qui a pris soin de s’informer exactement de tout ce qui s’est passé dans cette triste époque. Les prêtres montrent tous une joie indécente ; ils disent comme l’empereur Vitellius : Le corps d’un ennemi mort sent toujours bon ; mais celui qu’ils haïssaient n’a plus désormais rien à craindre de leur fureur impuissante, et il ne leur reste plus qu’à frémir de rage autour de sa tombe.

J’ai l’honneur d’être, mon prince, etc., etc., etc.

P. S. Dans la maladie que M. de Voltaire eut deux mois avant sa mort, il crut devoir se concilier la tolérance des dévots, en faisant une profession de foi chrétienne ; il la dicta à peu près en ces termes : « Je soussigné certifie et proteste que j’ai vécu et, que je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine. Si par mes ouvrages il m’est arrivé de causer quelque scandale à l’Église et à la religion, j’en demande pardon à Dieu, espérant de sa bonté qu’il voudra bien me pardonner mes fautes.

« Fait à Paris, en présence de mes amis MM.. . . . »

Cette profession de foi très-authentique avait été déposée entre les mains du curé de Saint-Sulpice, et elle suffit pour prouver combien le refus que ce pasteur a fait d’enterrer M. de Voltaire était illégal : car on ne peut rien exiger de plus formel et de plus précis d’un incrédule et même d’un athée le plus déterminé. Mais la superstition ne raisonne pas, et le fanatisme encore moins.

P. S. Copie de la lettre de M. de Voltaire à M. de Lally-Tolendal, du 26 mai :

« Le mourant Voltaire a ressuscité en apprenant la nouvelle de l’arrêt rendu en faveur de M. de Lally. Cet arrêt prouve que le roi est le maître, et qu’il est souverainement juste[1]. »

  1. Conf. tome L, lettre 10231.