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HISTOIRE POSTHUME

Faibles et lâches ennemis de l’ombre d’un grand homme ! en tourmentant toutes les puissances du ciel et de la terre pour lui ravir les hommages qui lui sont dus, quel fruit attendez-vous de tant de vains efforts ? Effacerez-vous son souvenir de la mémoire des hommes ? Anéantirez-vous cette multitude de chefs-d’œuvre, éternels monuments de son génie, consacrés dans toutes les parties du monde à l’instruction et à l’admiration des races futures ? Est-ce par quelques défenses puériles, par quelques anathèmes impuissants, que vous pensez enchaîner ces torrents de lumière répandus d’un bout de l’univers à l’autre[1] ?

Non, sa gloire est au-dessus de toute atteinte ; ses ouvrages en sont les garants immortels. Mais votre triomphe est encore assez beau ; le vengeur des victimes opprimées par le fanatisme et la superstition n’est plus ; ce grand ascendant sur l’esprit de son siècle, cet ascendant prodigieux qui tenait à sa personne, au caractère particulier de son esprit, à soixante ans de gloire et de succès, cet ascendant qui vous fit frémir tant de fois n’est plus à craindre.

L’opinion publique, l’hommage de tous les talents, celui des hommes les plus distingués chez toutes les nations, la confiance et l’amitié de plusieurs souverains, avaient érigé pour lui une sorte de tribunal supérieur en quelque manière à tous les tribunaux du monde, puisque la raison et l’humanité seules en avaient dicté le code, puisque le génie en prononçait tous les arrêts. C’est à ce tribunal respectable que l’on a vu s’évanouir plus d’une fois les foudres de l’injustice, de la calomnie et de la superstition ; c’est là que fut vengée l’innocence des Calas, des Sirven, des La Barre. L’espoir prochain du rétablissement de la mémoire de l’infortuné comte de Lally fut le fruit de ses derniers soins, le dernier succès pour lequel sa vie presque éteinte parut se rallumer encore ; peu de jours avant sa fin, plongé dans une espèce de léthargie, il en sortit quelques moments lorsqu’on lui apprit la nouvelle du jugement de cette affaire, et les dernières lignes qu’il dicta furent adressées au fils de cet illustre infortuné ; les voici : « Le mourant ressuscite en apprenant cette grande nouvelle. Il embrasse bien tendrement M. de Lally. Il voit que le roi est le défenseur de la justice ; il mourra content. » Ce sont, pour ainsi dire, les derniers soupirs de cet homme célèbre[2].

  1. Il a été défendu aux comédiens déjouer les pièces de Voltaire jusqu’à nouvel ordre, aux journalistes de parler de sa mort ni en bien ni en mal, aux régents de collége de faire apprendre de ses vers à leurs écoliers. (Id.)
  2. M. le marquis de Villevieille, l’ami de M. de Voltaire depuis plusieurs années, et qui ne l’a presque point quitté pendant tout son séjour à Paris, nous a promis de nous communiquer un journal détaillé de toutes les circonstances de sa maladie et de sa mort. Nous attendons l’accomplissement de cette promesse pour donner aux mémoires que nous avons recueillis sur cet objet toute l’exactitude et toute la précision que mérite le récit d’un événement si intéressant. (Meister.) — M. de Villevieille est mort en mai 1825, sans avoir tenu sa promesse.