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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

Que confirmera d’âge en âge
La sévère postérité.
Non, tu n’as pas besoin d’atteindre au noir rivage
Pour jouir de l’honneur de l’immortalité.
Voltaire, reçois la couronne
Que l’on vient de te présenter ;
Il est beau de la mériter,
Quand c’est la France qui la donne.

Ces vers avaient du moins le mérite du moment ; le public y a trouvé une partie des sentiments dont il était animé, et cela suffisait pour les faire recevoir avec transport. On les a fait répéter à Mme  Vestris, et il s’en est répandu mille copies dans un instant. Le buste est resté sur le théâtre, chargé de lauriers, pendant toute la petite pièce. On donnait Nanine, qui n’a pas moins été applaudie qu’Irène, quoiqu’elle ne fût guère mieux jouée ; mais la présence du dieu faisait tout pardonner, rendait tout intéressant.

Le moment où M. de Voltaire est sorti du spectacle a paru plus touchant encore que celui de son entrée ; il semblait succomber sous le faix de l’âge et des lauriers dont on venait de charger sa tête. Il paraissait vivement attendri ; ses yeux étincelaient encore à travers la pâleur de son visage ; mais on croyait voir qu’il ne respirait plus que par le sentiment de sa gloire. Toutes les femmes s’étaient rangées, et dans les corridors et dans l’escalier, sur son passage ; elles le portaient pour ainsi dire dans leurs bras : c’est ainsi qu’il est arrivé jusqu’à la portière de son carrosse. On l’a retenu le plus longtemps qu’il a été possible à la porte de la Comédie. Le peuple criait : Des flambeaux, des flambeaux ! que tout le monde puisse le voir ! Quand il a été dans sa voiture, la foule s’est pressée autour de lui ; on est monté sur le marchepied, on s’est accroché aux portières du carrosse pour lui baiser les mains. Des gens du peuple criaient : C’est lui qui a fait Œdipe, Mérope, Zaïre ; c’est lui qui a chanté notre bon roi, etc. On a supplié le cocher d’aller au pas, afin de pouvoir le suivre, et une partie du peuple l’a accompagné ainsi, en criant des Vive Voltaire ! jusqu’au Pont-Royal. Nous ne devons pas oublier ici que M. le comte d’Artois, qui était à l’Opéra avec la reine, l’a quittée un moment pour venir à la Comédie française, et qu’avant la fin du spectacle il a envoyé son capitaine des gardes, M. le prince d’Hénin, dans la loge de M. de Voltaire, pour lui dire de sa part tout l’intérêt qu’il prenait à son triomphe, et tout le plaisir qu’il avait eu de joindre ses hommages à ceux de la nation. Quel gré cette nation aimable et sensible n’aurait-elle pas su à M. le comte d’Artois si, en se mettant un moment au-dessus de l’étiquette, il avait osé partager publiquement l’ivresse dont elle était transportée ! Si, au lieu de M. d’Hénin, on l’ont vu lui-même ajouter quelques fleurs à la couronne du plus beau génie de la France dont le siècle puisse se glorifier !

Pourquoi les honneurs rendus à M. de Voltaire n’ont-ils jamais été rendus à un homme de lettres avec le même éclat, avec les mêmes transports ? Est-ce parce que M. de Voltaire est le plus grand homme qui ait jamais existé, et que,