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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

compare le style de Racine et celui de Boileau, la manière de ces deux poètes, et celle de M. de Voltaire, à qui l’auteur donne des éloges trop vrais et trop délicats pour avoir pu craindre, en les lisant devant lui, de blesser ou son amour-propre ou sa modestie. L’assemblée était aussi nombreuse qu’elle pouvait l’être sans la présence de messieurs les évêques, qui s’étaient tous dispensés de s’y trouver, soit que le hasard, soit que cet esprit saint qui n’abandonne jamais ces messieurs l’eût décidé ainsi pour sauver l’honneur de l’Église ou l’orgueil de la mitre : ce qui, comme chacun sait, ne fut presque toujours qu’une seule et même chose.

Les hommages que M. de Voltaire a reçus à l’Académie n’ont été que le prélude de ceux qui l’attendaient au théâtre de la nation. Sa marche depuis le vieux Louvre jusqu’aux Tuileries a été une espèce de triomphe public. Toute la cour des Princes, qui est immense, jusqu’à l’entrée du Carrousel, était remplie de monde ; il n’y en avait guère moins sur la grande terrasse du jardin, et cette multitude était composée de tout sexe, de tout âge et de toute condition. Du plus loin qu’on a pu apercevoir sa voiture, il s’est élevé un cri de joie universelle ; les acclamations, les battements de mains, les transports ont redoublé à mesure qu’il approchait ; et quand on l’a vu, ce vieillard respectable chargé de tant d’années et de tant de gloire, quand on l’a vu descendre appuyé sur deux bras, l’attendrissement et l’admiration ont été au comble. La foule se pressait pour pénétrer jusqu’à lui ; elle se pressait davantage pour le défendre contre elle-même[1]. Toutes les bornes, toutes les barrières, toutes les croisées, étaient remplies de spectateurs, et le carrosse à peine arrêté, on était déjà monté sur l’impériale et même jusque sur les roues pour contempler la divinité de plus près. Dans la salle même, l’enthousiasme du public, que l’on ne croyait pas pouvoir aller plus loin, a paru redoubler encore lorsque, M. de Voltaire placé aux secondes, dans la loge des gentilshommes de la chambre, entre Mme Denis et Mme de Villette, le sieur Brizard est venu apporter une couronne de laurier que Mme de Villelte a posée sur la tête du grand homme, mais qu’il a retirée aussitôt, quoique le public le pressât de la garder par des battements de mains et par des cris qui retentissaient de tous les coins de la salle avec un fracas inouï. Toutes les femmes étaient debout. Il y avait plus de monde encore dans les corridors que dans les loges.

Toute la Comédie, avant la toile levée, s’était avancée sur les bords du théâtre. On s’étouffait jusqu’à l’entrée du parterre, où plusieurs femmes

  1. Les moindres détails de cette journée pouvant avoir quelque intérêt, nous ne voulons point manquer de rappeler ici le costume dans lequel M. de Voltaire a paru. Il avait sa grande perruque à nœuds grisâtres, qu’il peigne tous les jours lui-même, et qui est toute semblable à celle qu’il portait il y a quarante ans ; de longues manchettes de dentelles et la superbe fourrure de martre zibeline, qui lui fut envoyée il y a quelques années par l’impératrice de Russie, couverte d’un beau velours cramoisi, mais sans aucune dorure. Il est impossible de penser à cette fameuse perruque sans se souvenir qu’il n’y avait autrefois que le pauvre Bachaumont qui en eût une pareille, et qui en était extrêmement fier. On l’appelait la tête à perruque de M. de Voltaire. (Meister.)