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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

Voilà le précis le plus vrai de ma première entrevue avec M. de Voltaire. La seconde fut plus décisive, puisqu’il consentit, après les plus vives instances de ma part, à me recueillir chez lui comme son pensionnaire, et à faire bâtir au-dessus de son logement un petit théâtre où il eut la bonté de me faire jouer avec ses nièces et toute ma société. Il ne voyait qu’avec un déplaisir horrible qu’il nous en avait coûté jusqu’alors beaucoup d’argent pour amuser le public et nos amis.

La dépense que cet établissement momentané causa à M. de Voltaire, et l’offre désintéressée qu’il m’avait faite quelques jours auparavant, me prouvèrent, d’une manière bien sensible, qu’il était aussi généreux et aussi noble dans ses procédés que ses ennemis étaient injustes, en lui prêtant le vice de la sordide économie. Ce sont des faits dont j’ai été le témoin. Je dois encore un autre aveu à la vérité, c’est que M. de Voltaire m’a non-seulement aidé de ses conseils pendant plus de six mois, mais qu’il m’a défrayé pendant ce temps, et que, depuis que je suis au théâtre, je puis prouver avoir été gratifié par lui de plus de deux mille écus. Il me nomme aujourd’hui son grand acteur, son Garrick, son enfant chéri : ce sont des titres que je ne dois qu’à ses bontés pour moi ; mais ceux que j’adopte au fond de mon cœur sont ceux d’un élève respectueux et pénétré de reconnaissance.

Pourrais-je n’être pas affecté d’un sentiment aussi respectable, puisque c’est à M. de Voltaire seul que je dois les premières notions de mon art, et que c’est à sa seule considération que M. le duc d’Aumont a bien voulu m’accorder mon ordre de début au mois de septembre 1750 ?

Il est résulté de ces premières démarches que, par une persévérance à toute épreuve, je suis enfin, au bout de dix-sept mois, parvenu à surmonter tous les obstacles de la ville et de la cour, et à me faire inscrire sur le tableau de messieurs les comédiens du roi, au mois de février 1752.

Quiconque voudra bien lire tous ces détails, en observer la filiation, reconnaîtra que je suis loin de ressembler à ces cœurs ingrats qui rougissent d’un bienfait, et qui, pour consommer leur scélératesse, calomnient indignement leur bienfaiteur. J’en ai connu plus d’un de cette espèce à l’égard de M. de Voltaire. J’ai été témoin des vols qui lui ont été faits par des gens de toutes sortes d’états. Il a plaint les uns, méprisé tacitement les autres, mais jamais il n’a tiré vengeance d’aucun. Les libraires, qu’il a prodigieusement enrichis par les différentes éditions de ses ouvrages, l’ont toujours déchiré publiquement ; mais il n’y en a pas un seul qui ait osé l’attaquer en justice, parce que tous avaient tort.

M. de Voltaire est toujours resté fidèle à ses amis. Son caractère est impétueux, son cœur est bon, son âme est compatissante et sensible ; modeste au suprême degré sur les louanges que lui ont prodiguées les rois, les gens de lettres et le peuple réuni pour l’entendre et l’admirer ; profond et juste dans ses jugements sur les ouvrages d’autrui ; rempli d’aménité, de politesse et de grâces dans le commerce civil ; inflexible sur les gens qui l’ont offensé : voilà son caractère dessiné d’après nature.

On ne pourra jamais lui reprocher d’avoir attaqué le premier ses adver-