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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

tion que par des événements imprévus : on croirait que ceux-ci seraient seuls capables de l’émouvoir. Il n’y a que l’illusion de la scène qui puisse produire de pareils effets, et nous faire verser des larmes en nous persuadant de la réalité des malheurs que nous déplorons, et il faut qu’elle ait été assez forte pour que nous ayons oublié que nous étions à la comédie ; dès qu’on commence à s’apercevoir que le tout n’est qu’une simple fiction, l’intérêt et les pleurs doivent naturellement cesser.

Je souhaiterais cependant beaucoup de voir Voltaire assister à la représentation de quelqu’une des tragédies de Corneille ou de Racine, afin de m’assurer s’il témoignerait plus ou moins de sensibilité qu’il ne fait aux siennes. Alors je serais en état de décider cette question curieuse et longtemps débattue, savoir si l’intérêt qu’il témoigne est pour la pièce ou pour l’auteur.

Heureux si cet homme extraordinaire avait concentré son génie dans les bornes que la nature lui avait prescrites, et n’était jamais sorti de la place distinguée que les muses lui avaient assignée sur le Parnasse, où il était sûr de briller, et qu’il ne s’en fût jamais écarté pour s’égarer dans les sentiers épineux de la controverse. Car, tandis qu’il attaquait les tyrans et les oppresseurs du genre humain, et ceux qui ont perverti la nature bienfaisante du christianisme pour la faire servir à des fins intéressées et condamnables, on ne saurait trop regretter qu’il ait cherché, par des plaisanteries déplacées, à attaquer et à détruire le christianisme même.

En persévérant dans cette conduite, il a non-seulement scandalisé les dévots, mais encore révolté les infidèles, qui l’accusent de s’être pillé lui-même en se répétant souvent dans plusieurs de ses ouvrages ; ils paraissent d’ailleurs tout aussi rebutés de ses prétendus bons mots que des plats et ennuyeux sermons des fades apologistes de la religion, qui la déshonorent par leur manière indigne de la prêcher.

La conduite de Voltaire, pendant ses différentes maladies, a été représentée sous des aspects tout à fait opposés. J’ai beaucoup ouï parler de sa grande contrition et de sa repentance lorsqu’il se croyait proche de sa fin ; si ce qu’on m’en a dit est vrai, cela prouverait que son incrédulité n’est point réelle, et que dans le fond du cœur il est chrétien et convaincu de la vérité de l’Évangile.

J’avoue que je n’ai jamais pu ajouter foi à ces rapports : car quoique j’aie souvent rencontré dans le monde de jeunes étourdis qui se sont donnés pour des esprits forts, tandis qu’au fond du cœur ils poussaient la crédulité jusqu’à la superstition, je n’ai jamais compris ce qu’un homme tel que Voltaire, ou tout autre doué du sens commun, pouvait se promettre de cette absurde affectation. Prétendre mépriser ce qu’on révère, et traiter d’humain ce que l’on croit être divin, est certainement de toutes les espèces d’hypocrisie celle qui me paraît la moins excusable.

J’ai eu quelque peine à éclaircir cette matière ; des gens qui ont vécu familièrement depuis plusieurs années avec lui m’ont assuré que toutes ces histoires sont sans fondement. Ils ont ajouté que, quoiqu’il aimât la vie et fit tout ce qui paraissait propre à la conserver, il ne témoignait aucune