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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.


LIII.


LE CHEVALIER DE BOUFFLERS[1]

À FERNEY.

LETTRES À LA MARQUISE DE BOUFFLERS[2].

De Ferney, 1764.

Enfin me voici chez le roi de Garbe[3], car jusqu’à présent j’ai voyagé comme la fiancée. Ce n’est qu’en le voyant que je me suis reproché le temps que j’ai passé sans le voir : il m’a reçu comme votre fils, et il m’a fait une partie des amitiés qu’il voudrait vous faire. Il se souvient de vous comme s’il venait de vous voir, et il vous aime comme s’il vous voyait. Vous ne pouvez point vous faire d’idée de la dépense et du bien qu’il fait. Il est le roi et le père du pays qu’il habite ; il fait le bonheur de ce qui l’entoure, et il est aussi bon père de famille que bon poëte. Si on le partageait en deux, et que je visse d’un côté l’homme que j’ai lu, et de l’autre celui que j’entends, je ne sais auquel je courrais. Ses imprimeurs auront beau faire, il sera toujours la meilleure édition de ses livres.

Il y a ici Mme Denis et Mme Dupuits, née Corneille. Toutes deux me paraissent aimer leur oncle[4]. La première est bonne de la bonté qu’on aime ; la seconde est remarquable par ses grands yeux noirs et un teint brun. Elle me paraît tenir plus de la corneille que du Corneille.

Au reste, la maison est charmante, la situation superbe, la chère délicate, mon appartement délicieux ; il ne lui manque que d’être à côté du vôtre, car j’ai beau vous fuir, je vous aime, et j’aurai beau revenir à vous, je vous aimerai toujours.

Voltaire m’a beaucoup parlé de Panpan, et comme j’aime qu’on en parle. Il a beaucoup recherché dans sa mémoire l’abbé Porquet, qu’il a connu autrefois ; mais il n’a jamais pu le retrouver ; les petits bijoux sont sujets à se perdre.

De Ferney.

Je vous envoie pour vos étrennes un petit dessin d’un Voltaire pendant qu’il perd une partie aux échecs. Cela n’a ni force ni correction, parce que

  1. Stanislas-Jean, abbé, puis chevalier de Boufflers, auteur du charmant roman d’Aline, reine de Golconde (1701), né à Nancy le 31 mai 1738, mort à Paris le 18 janvier 1815. Il était fils de Louis-François, marquis de Boufflers-Remiencourt, et de Marie Catherine de Beauveau-Craon. Ces lettres parurent sous ce titre : Lettres du chevalier de Boufflers sur son voyage en Suisse, Paris, 1770, in-8°.
  2. Mère du chevalier de Boufflers, née le 8 décembre 1711. La marquise de Boufflers devint veuve le 12 janvier 1752 et mourut en 1787.
  3. Voltaire.
  4. À l’égard de Mme Dupuits, née Corneille, et dotée par Voltaire avec le produit des Commentaires sur Corneille, ce titre d’oncle n’était qu’un nom d’amitié donné par elle à son protecteur.