Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

qui leur sera indiqué par monsieur le curé ; l’église, nef et chœur, des mêmes dimensions précisément que l’église, nef et chœur, qui est actuellement auprès du château, afin que les mêmes bois de charpente et menuiserie de l’ancienne puissent servir à la nouvelle ; ils édifieront le tout de même hauteur et de même pierre, nommée blocaille ou blocage, pratiqueront les fenêtres à peu près des mêmes dimensions ; ils se serviront du même portail qui est à l’ancienne église : ils l’enlèveront de la place où il est et mettront des tronçons pour soutenir ledit ancien portail ; ils auront seulement soin de faire saillir le portail de la nouvelle église de quatre pouces ; ils feront deux pilastres saillants de quatre pouces à chaque côté du portail, avec un fronton de pierre molasse au-dessus dudit portail. Ces quatre pilastres simples seront de briques, qu’ils revêtiront de plâtre ou d’un bon enduit de chaux. Il n’y aura point d’autres ornements, le tout au prix des murs du château de Ferney, la pierre taillée au même prix, et ledit ouvrage sera payé totalement le 1er  ou le 15 octobre prochain, jour auquel lesdits entrepreneurs s’engagent à livrer le bâtiment aux charpentiers pour faire la couverture.

Fait au château de Ferney, ledit 6 août 1760.


LII.


LE PRINCE DE LIGNE À FERNEY[1].

1763

Ce que je pouvais faire de mieux chez M. de Voltaire, c’était de ne pas lui montrer de l’esprit. Je ne lui parlais que pour le faire parler. J’ai été huit jours dans sa maison, et je voudrais me rappeler les choses sublimes, simples, gaies, aimables, qui parlaient sans cesse de lui ; mais en vérité, c’est impossible. Je riais ou j’admirais. J’étais toujours dans l’ivresse. Jusqu’à ses torts, ses fausses connaissances, ses engouements, son manque de goût pour les beaux-arts, ses caprices, ses prétentions, ce qu’il ne pouvait pas être et ce qu’il était, tout était charmant, neuf, piquant et imprévu. Il souhaitait de passer pour un homme d’État profond, ou pour un savant, au point de désirer d’être ennuyeux. Il aimait alors la constitution anglaise. Je me souviens que je lui dis : « Monsieur de Voltaire, ajoutez-y son soutien, l’Océan, sans lequel elle ne durerait pas… — L’Océan, me dit-il, vous allez me faire faire bien des réflexions là-dessus. » On lui annonça un jeune homme de Genève qui l’ennuyait : « Vite, vite, dit-il, du Tronchin, « c’est-à-dire qu’on le fît passer pour malade. Le Genevois s’en alla.

  1. Ce récit se trouve dans les Lettres et Pensées du maréchal prince de Ligne, publiées par la baronne de Stael-Holstein ; Paris, Paschaud, 1809, in-8.

    — Charles-Joseph, prince de Ligne (1735-1814), fils de Claude-Lamoral, prince de Ligne, et d’Élisabeth-Alexandrine-Charlotte de Salm-Salm, célèbre par son esprit et ses talents militaires. Il visita Ferney vers le milieu de l’année 1763.