Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

                  Du dieu qui demandait l’ouvrage ;
Bien que des deux esprits la pièce l’emportât,
L’on ignorait encor qu’elle eût eu l’avantage.
Enfin le jour venu de cet événement,
         De tant d’auteurs la cohorte nombreuse
                  Recherchait la gloire flatteuse
De remporter l’honneur de l’applaudissement.
                  Tandis qu’à faire cette brigue
                  Toute la troupe se fatigue,
                  Sans se donner du mouvement
Racine avec Corneille, au sein de l’Élysée,
                  Rappelaient l’histoire passée
Du temps où de la France ils étaient l’ornement.
Ils avaient su, par ceux qui venaient de la terre,
Du théâtre français le funeste abandon ;
Que depuis leur décès le délicat parterre
                  Ne pouvait rien trouver de bon.
Ce malheur leur causait une tristesse extrême.
         Ils connaissaient que dans Paris l’on aime
D’un spectacle nouveau les doux amusements ;
                  Qu’abandonnés par Melpomène,
Les auteurs n’avaient plus ces nobles sentiments
                  Qui font la grâce de la scène.
                  Depuis leur séjour en ces lieux,
                  Ils avaient fait la connaissance
                  D’un démon sans expérience.
                  Mais dont l’esprit vif, gracieux,
                  Surpassait déjà les plus vieux
                  Par ses talents et sa science.
Pour réparer les maux du théâtre obscurci,
                  Ce démon fut par eux choisi.
                  Ils lui font prendre forme humaine ;
Des règles de leur art à fond l’ayant instruit,
                  Sur les bords fameux de la Seine,
Sous le nom d’Arouet, cet esprit fut conduit.
Ayant puisé ses vers aux eaux de l’Aganipe,
Pour son premier projet il fait le choix d’Œdipe ;
Et quoique dès longtemps ce sujet fût connu,
Par un style plus beau cette pièce changée
Fit croire des enfers Racine revenu,
Ou que Corneille avait la sienne corrigée[1].

  1. Ces vers font autant d’honneur au prince de Conti qu’en a fait à Lamotte son approbation d’Œdipe. Ils annoncèrent tous deux à la France un digne successeur de Corneille et de Racine, et jamais prophétie ne fut mieux accomplie. (K.)