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VIE DE VOLTAIRE.

De quelle liberté même ont joui les nations qui l’ont recouvrée par la violence des armes, et non par la force de la raison ? d’une liberté passagère, et tellement troublée par des orages qu’on peut presque douter qu’elle ait été pour elles un véritable avantage. Presque toutes n’ont-elles pas confondu les formes républicaines avec la jouissance de leurs droits, et la tyrannie de plusieurs avec la liberté ? Combien de lois injustes et contraires aux droits de la nature ont déshonoré le code de toutes les nations qui ont recouvré leur liberté dans les siècles où la raison était encore dans l’enfance ?

Pourquoi ne pas profiter de cette expérience funeste, et savoir attendre des progrès des lumières une liberté plus réelle, plus durable, et plus paisible ? pourquoi acheter par des torrents de sang, par des bouleversements inévitables, et livrer au hasard, ce que le temps doit amener sûrement et sans sacrifice ? C’est pour être plus libre, c’est pour l’être toujours qu’il faut attendre le moment où les hommes, affranchis de leurs préjugés, guidés par la raison, seront enfin dignes de l’être, parce qu’ils connaîtront les véritables droits de la liberté.

Quel sera donc le devoir d’un philosophe ? Il attaquera la superstition, il montrera aux gouvernements la paix, la richesse, la puissance, comme l’infaillible récompense des lois qui assurent la liberté religieuse ; il les éclairera sur tout ce qu’ils ont à craindre des prêtres, dont la secrète influence menacera toujours le repos des nations où la liberté d’écrire n’est pas entière : car peut-être, avant l’invention de l’imprimerie, était-il impossible de se soustraire à ce joug, aussi honteux que funeste ; et, tant que l’autorité sacerdotale n’est pas anéantie par la raison, il ne reste point de milieu entre un abrutissement absolu et des troubles dangereux.

Il fera voir que, sans la liberté de penser, le même esprit, dans le clergé, ramènerait les mêmes assassinats, les mêmes supplices, les mêmes proscriptions, les mêmes guerres civiles ; que c’est seulement en éclairant les peuples qu’on peut mettre les citoyens et les princes à l’abri de ces attentats sacrés. Il montrera que des hommes qui veulent se rendre les arbitres de la morale, substituer leur autorité à la raison, leurs oracles à la conscience, loin de donner à la morale une base plus solide en l’unissant à des croyances religieuses, la corrompent et la détruisent, et cherchent non à rendre les hommes vertueux, mais à en faire les instruments aveugles de leur ambition et de leur avarice ; et, si on lui demande ce qui remplacera les préjugés qu’il a détruits, il répondra : « Je vous ai délivrés d’une bête féroce qui vous dévorait, et vous demandez ce que je mets à la place[1] ! »

  1. Examen important, etc. ; voyez tome XXVI, page 299.