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VIE DE VOLTAIRE.

Le ministère, un peu honteux de sa faiblesse, crut échapper au mépris public en empêchant de parler de Voltaire dans les écrits ou dans les endroits où la police est dans l’usage de violer la liberté, sous prétexte d’établir le bon ordre, qu’elle confond trop souvent avec le respect pour les sottises établies ou protégées.

On défendit aux papiers publics de parler de sa mort[1], et les comédiens eurent ordre de ne jouer aucune de ses pièces[2]. Les ministres ne songèrent pas que de pareils moyens d’empêcher qu’on ne s’irritât contre leur faiblesse ne serviraient qu’à en donner une nouvelle preuve, et montreraient qu’ils n’avaient ni le courage de mériter l’approbation publique, ni celui de supporter le blâme.

Ce simple récit des événements de la vie de Voltaire a fait assez connaître son caractère et son âme : la bienfaisance, l’indulgence pour les faiblesses, la haine de l’injustice et de l’oppression, en forment les principaux traits. On peut le compter parmi le très-petit nombre des hommes en qui l’amour de l’humanité a été une véritable passion. Cette passion, la plus noble de toutes, n’a été connue que dans nos temps modernes : elle est née du progrès des lumières, et sa seule existence suffit pour confondre les aveugles partisans de l’antiquité, et les calomniateurs de la philosophie.

Mais les heureuses qualités de Voltaire étaient souvent égarées par une mobilité naturelle que l’habitude de faire des tragédies avait encore augmentée. Il passait en un instant de la colère à l’attendrissement, de l’indignation à la plaisanterie. Né avec des passions violentes, elles l’entraînèrent trop loin quelquefois ; et sa mobilité le priva des avantages ordinaires aux âmes passionnées, la fermeté dans la conduite, et ce courage que la crainte ne peut arrêter quand il faut agir, et qui ne s’ébranle point par la présence du danger qu’il a prévu. On l’a vu souvent s’exposer à l’orage presque avec témérité, rarement on l’a vu le braver avec constance : et ces alternatives d’audace et de faiblesse ont souvent affligé ses amis, et préparé d’indignes triomphes à ses lâches ennemis.

  1. On ne parla de la mort de Voltaire ni dans le Mercure, ni dans le Journal de Paris.
  2. Cette défense fut bientôt levée ; le 20 juin 1778, on joua Nanine à la Comédie française ; les 22 et 28, on représenta Tancrède. Le 1er février 1779, La Harpe donna sur le même Théâtre les Muses rivales, ou l’Apothéose de Voltaire, en un acte et en vers libres. Enfin le 31 mai 1779, comme anniversaire de la mort de Voltaire, eut lieu la première représentation d’Agathocle, tragédie posthume de Voltaire (voyez tome VII, page 389). Mais pendant qu’on laissait rendre ces hommages à la mémoire de Voltaire, on faisait supprimer vingt-sept vers à son honneur dans le chant de Janvier, du poëme des Mois par Roucher.