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VIE DE VOLTAIRE.

Cependant la barbarie des lois criminelles, les vices révoltants des lois civiles, offraient aux auteurs de la révolution un moyen sûr de regagner l’opinion et de donner à ceux qui consentiraient à remplacer les parlements une excuse que l’honneur et le patriotisme auraient pu avouer hautement. Les ministres dédaignèrent ce moyen. Le parlement s’était rendu odieux à tous les hommes éclairés, par les obstacles qu’il opposait à la liberté d’écrire, par son fanatisme, dont le supplice récent du chevalier de La Barre était un exemple aux yeux de l’Europe entière. Mais, irrité des libelles publiés contre lui, effrayé des ouvrages où l’on attaquait ses principes, jaloux enfin de se faire un appui du clergé, le chancelier se plut à charger de nouvelles chaînes la liberté d’imprimer. La mémoire de La Barre ne fut pas réhabilitée[1], son ami[2] ne put obtenir une révision qui eût couvert d’opprobre ceux à qui le chef de la justice était pourtant si intéressé à ravir la faveur publique. La procédure criminelle subsista dans toute son horreur, et cependant huit jours auraient suffi pour rédiger une loi qui aurait supprimé la peine de mort si cruellement prodiguée, aboli toute espèce de torture, proscrit les supplices cruels ; qui aurait exigé une grande pluralité pour condamner, admis un certain nombre de récusations sans motif, accordé aux accusés le secours d’un conseil qui enfin leur aurait assuré la faculté de connaître et d’examiner tous les actes de la procédure, le droit de présenter des témoins, de faire entendre des faits justificatifs. La nation, l’Europe entière, auraient applaudi ; les magistrats dépossédés n’auraient plus été que les ennemis de ces innovations salutaires ; et leur chute, que l’époque où le souverain aurait recouvré la liberté de se livrer à ses vues de justice et d’humanité.

À la vérité, la vénalité des charges fut supprimée ; mais les juges étaient toujours nommés par la cour : on ne vit dans ce changement que la facilité de placer dans les tribunaux des hommes sans fortune, et plus faciles à séduire.

On diminua les ressorts les plus étendus, mais on n’érigea pas en parlement ces nouvelles cours ; on ne leur accorda point l’enregistrement, et par là on mit entre elles et les anciens tribunaux une différence, présage de leur destruction ; enfin on supprima les épices des juges, remplacées par des appointements fixes : seule opération que la raison put approuver tout entière.

Ceux qui conduisaient cette révolution parvinrent cependant à la consommer malgré une réclamation presque générale. Le duc de Choiseul, accusé de fomenter en secret la résistance un peu incertaine du parlement de Paris, et d’avoir retardé la conclusion d’une pacification entre l’Angleterre et l’Espagne, fut exilé dans ses terres. Le parlement, obligé de prendre par reconnaissance le parti de la fermeté, fut bientôt dispersé. Le duc d’Aiguillon devint ministre ; un nouveau tribunal remplaça le parlement. Quelques parlements de province eurent le sort de celui de Paris ; d’autres consentirent à rester, et sacrifièrent une partie de leurs membres. Tout se tut devant l’autorité, et il ne manqua au succès des ministres que l’opinion publique qu’ils bravaient, et qui au bout de quelques années eut le pouvoir de les détruire.

  1. Elle l’a été par le décret de la Convention nationale du 25 brumaire an II (15 novembre 1793).
  2. Jacques-Marie-Bertrand Gaillard de Beancourt (et non Beaucourt), dit Étallonde de Morival, mort à Wailly, à quatre lieues d’Amiens, le 22 thermidor an VII (10 auguste 1800), vivait encore quand la Convention nationale prononça, le 15 novembre 1793, la réhabilitation de sa mémoire.