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VIE DE VOLTAIRE.

Cette horrible sentence fut exécutée ; et cependant les accusations étaient aussi ridicules que le supplice était atroce. Il n était que véhémentement soupçonné d’avoir eu part à l’aventure du crucifix. Mais on le déclarait convaincu d’avoir chanté, dans des parties de débauche, quelques-unes de ces chansons moitié obscènes, moitié religieuses, qui, malgré leur grossièreté, amusent l’imagination dans les premières années de la jeunesse, par leur contraste avec le respect ou le scrupule que l’éducation inspire à l’égard des mêmes objets ; d’avoir récité une ode[1] dont l’auteur, connu publiquement, jouissait alors d’une pension sur la cassette du roi ; d’avoir fait des génuflexions en passant devant quelques-uns de ces ouvrages libertins qui étaient à la mode dans un temps où les hommes, égarés par l’austérité de la morale religieuse, ne savaient pas distinguer la volupté de la débauche ; on lui reprochait enfin d’avoir tenu des discours dignes de ces chansons et de ces livres.

Toutes ces accusations étaient appuyées sur le témoignage de gens du peuple qui avaient servi ces jeunes gens dans leurs parties de plaisir, ou de tourières de couvent faciles à scandaliser.

Cet arrêt révolta tous les esprits. Aucune loi ne prononçait la peine de mort ni pour le bris d’images ni pour les blasphèmes de ce genre ; ainsi les juges avaient été même au delà des peines portées par des lois que tous les hommes éclairés ne voyaient qu’avec horreur souiller encore notre code criminel. Il n’y avait point de père de famille qui ne dût trembler, puisqu’il y a peu de jeunes gens auxquels il n’échappe de semblables indiscrétions : et les juges condamnaient à une mort cruelle, pour des discours que la plupart d’entre eux s’étaient permis dans leur jeunesse, que peut-être ils se permettaient encore, et dont leurs enfants étaient aussi coupables que celui qu’ils condamnaient.

  1. L’Ode à Priape, par Piron.