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VIE DE VOLTAIRE.

Peu de temps après la malheureuse mort de Calas[1], une jeune fille de la même province, qui, suivant un usage barbare, avait été enlevée à ses parents et renfermée dans un couvent dans l’intention d’aider, par des moyens humains, la grâce de la foi, lassée des mauvais traitements qu’elle y essuyait, s’échappa, et fut retrouvée dans un puits. Le prêtre qui avait sollicité la lettre de cachet, les religieuses qui avaient usé avec barbarie du pouvoir qu’elle leur donnait sur cette infortunée, pouvaient sans doute mériter une punition ; mais c’est sur la famille de la victime que le fanatisme veut la faire tomber. Le reproche calomnieux qui avait conduit Calas au supplice se renouvelle avec une nouvelle fureur. Sirven a heureusement le temps de se sauver ; et, condamné à la mort par contumace, il va chercher un refuge auprès du protecteur des Calas ; mais sa femme, qu’il traîne après lui, succombe à sa douleur, à la fatigue d’un voyage entrepris à pied au milieu des neiges.

La forme obligeait Sirven à se présenter devant ce même parlement de Toulouse qui avait versé le sang de Calas. Voltaire fit des tentatives pour obtenir d’autres juges. Le duc de Choiseul ménageait alors les parlements, qui, après la chute de son crédit sur la marquise de Pompadour, et ensuite après sa mort, lui étaient devenus utiles, tantôt pour le délivrer d’un ennemi, tantôt pour lui donner les moyens de se rendre nécessaire par l’art avec lequel il savait calmer leurs mouvements, que souvent lui-même avait excités.

Il fallut donc que Sirven se déterminât à comparaître à Toulouse ; mais Voltaire avait su pourvoir à sa sûreté, et préparer son succès. Il avait des disciples dans le parlement. Des avocats habiles voulurent partager la gloire que ceux de Paris avaient acquise en défendant Calas. Le parti de la tolérance était devenu puissant dans cette ville même : en peu d’années les ouvrages de Voltaire avaient changé les esprits ; on n’avait plaint Calas qu’avec une horreur muette ; Sirven eut des protecteurs déclarés, grâce à l’éloquence de Voltaire, à ce talent de répandre à propos des vérités et des louanges. Ce parti l’emporta sur celui des pénitents, et Sirven fut sauvé.

Les jésuites s’étaient emparés du bien d’une famille de gentilshommes[2] que leur pauvreté empêchait d’y rentrer. Voltaire leur en donna les moyens, et les oppresseurs de tous les genres, qui depuis longtemps craignaient ses écrits, apprirent à redouter son activité, sa générosité et son courage.

Ce dernier événement précéda de très-peu la destruction des jésuites. Voltaire, élevé par eux, avait conservé des relations avec ses anciens maîtres ; tant qu’ils vécurent, ils empêchèrent leurs confrères de se déchaîner ouvertement contre lui ; et Voltaire ménagea les jésuites, et par considération pour ces liaisons de sa jeunesse, et pour avoir quelques alliés dans le parti qui dominait alors parmi les dévots. Mais, après leur mort, fatigué des clameurs du Journal de Trévoux, qui par d’éternelles accusations d’impiété semblait appeler la persécution sur sa tête, il ne garda plus les mêmes ménagements ; et son zèle pour la défense des opprimés ne s’étendit point jusque sur les jésuites.

  1. Le suicide de Calas fils est du 13 octobre 1761 ; la condamnation du père, du 9 mars 1762. C’était le 4 janvier 1762 qu’on avait trouvé dans un puits le cadavre d’une fille de Sirven.
  2. Desprez de Crassy.