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VIE DE VOLTAIRE.

Cette même année fut l’époque d’une réconciliation entre Voltaire et son ancien disciple. Les Autrichiens, déjà au milieu de la Silésie, étaient près d’en achever la conquête ; une armée française était sur les frontières du Brandebourg. Les Russes, déjà maîtres de la Prusse, menaçaient la Poméranie et les Marches ; la monarchie prussienne paraissait anéantie, et le prince qui l’avait fondée n’avait plus d’autre ressource que de s’enterrer sous ses ruines, et de sauver sa gloire en périssant au milieu d’une victoire. La margrave de Baireuth aimait tendrement son frère ; la chute de sa maison l’affligeait ; elle savait combien la France agissait contre ses intérêts en prodiguant son sang et ses trésors pour assurer à la maison d’Autriche la souveraineté de l’Allemagne ; mais le ministre de France avait à se plaindre d’un vers du roi de Prusse. La marquise de Pompadour ne lui pardonnait pas d’avoir feint d’ignorer son existence politique, et on avait eu soin de lui enseigner aussi des vers que l’infidélité d’un copiste avait fait tomber entre les mains du ministre de Saxe. Il fallait donc faire adopter l’idée de négocier à des ennemis aigris par des injures personnelles, au moment même où ils se croyaient assurés d’une victoire facile. La margrave eut recours à Voltaire, qui s’adressa au cardinal de Tencin, sachant que ce ministre, oublié depuis la mort de Fleury, qui l’employait en le méprisant, avait conservé avec le roi une correspondance particulière. Tencin écrivit, mais il reçut pour toute réponse l’ordre du ministre des affaires étrangères de refuser la négociation par une lettre dont on lui avait même envoyé le modèle. Le vieux politique, qui n’avait pas voulu donner à dîner à Voltaire pour ménager la cour, ne se consola point de s’être brouillé avec elle par sa complaisance pour lui ; et le chagrin de cette petite mortification abrégea ses jours. Étant plus jeune, des aventures plus cruelles n’avaient fait que redoubler et enhardir son talent pour l’intrigue, parce que l’espérance le soutenait et qu’il était du nombre des hommes que le crédit et les dignités consolent de la honte ; mais alors il voyait se rompre le dernier fil qui le liait encore à la faveur.

Voltaire entama une autre négociation non moins inutile par le maréchal de Richelieu. Une troisième enfin, quelques années plus tard, fut conduite jusqu’à obtenir de M. de Choiseul qu’il recevrait un envoyé secret du roi de Prusse. Cet envoyé fut découvert par les agents de l’impératrice-reine, et, soit faiblesse, soit que M. de Choiseul eût agi sans consulter Mme de Pompadour, il fut arrêté, et ses papiers fouillés : violation du droit des gens qui se perd dans la foule des petits crimes que les politiques se permettent sans remords.