Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
VIE DE VOLTAIRE.

Il n’avait publié à Berlin que le Siècle de Louis XIV, la seule histoire de ce règne que l’on puisse lire. C’est sur le témoignage des anciens courtisans de Louis XIV, ou de ceux qui avaient vécu dans leur société, qu’il raconte un petit nombre d’anecdotes choisies avec discernement parmi celles qui peignent l’esprit et le caractère des personnages et du siècle même. Les événements politiques ou militaires y sont racontés avec intérêt et avec rapidité : tout y est peint à grands traits. Dans des chapitres particuliers, il rapporte ce que Louis XIV a fait pour la réforme des lois ou des finances, pour l’encouragement du commerce et de l’industrie ; et on doit lui pardonner d’en avoir parlé suivant l’opinion des hommes les plus éclairés du temps où il écrivait, et non d’après des lumières qui n’existaient pas encore.

Ses chapitres sur le calvinisme, le jansénisme, le quiétisme, la dispute sur les cérémonies chinoises, sont les premiers modèles de la manière dont un ami prudent de la vérité doit parler de ces honteuses maladies de l’humanité, lorsque le nombre et le pouvoir de ceux qui en sont encore attaqués obligent de soulever avec adresse le voile qui en cache la turpitude. On peut lui reprocher seulement une sévérité trop grande contre les calvinistes, qui ne se rendirent coupables que lorsqu’on les força de le devenir, et dont les crimes ne furent en quelque sorte que les représailles des assassinats juridiques exercés contre eux dans quelques provinces.

Les découvertes dans les sciences, les progrès des arts, sont exposés avec clarté, avec exactitude, avec impartialité, et les jugements toujours dictés par une raison saine et libre, par une philosophie indulgente et douce.

La liste des écrivains du siècle de Louis XIV est un ouvrage neuf. On n’avait pas encore imaginé de peindre ainsi par un trait, par quelques lignes, des philosophes, des savants, des littérateurs, des poëtes, sans sécheresse comme sans prétention, avec un goût sûr et une précision presque toujours piquante.

Cet ouvrage apprit aux étrangers à connaître Louis XIV, défiguré chez eux dans une foule de libelles, et à respecter une nation qu’ils n’avaient vue jusque-là qu’au travers des préventions de la jalousie et de la haine. On fut moins indulgent en France. Les esclaves, par état et par caractère, furent indignés qu’un Français eût osé trouver des faiblesses dans Louis XIV. Les gens à préjugés furent scandalisés qu’il eût parlé avec liberté des fautes des généraux et des défauts des grands écrivains ; d’autres lui reprochaient, avec plus de justice à quelques égards, trop d’indulgence ou d’enthousiasme. Mais l’histoire d’un pays n’est jamais jugée avec impartialité que par les étrangers ; une foule d’intérêts, de préventions, de préjugés, corrompt toujours le jugement des compatriotes.