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VIE DE VOLTAIRE.

Voltaire avait connu Koënig chez Mme du Châtelet, à laquelle il était venu donner des leçons de leibnitianisme ; il avait conservé de l’amitié pour lui, quoiqu’il se fût permis quelquefois de le plaisanter pendant son séjour en France. Il n’aimait pas Maupertuis, et haïssait la persécution, sous quelque forme qu’elle tourmentât les hommes : il prit donc ouvertement le parti de Koënig, et publia quelques ouvrages où la raison et la justice étaient assaisonnées d’une plaisanterie fine et piquante. Maupertuis intéressa l’amour propre du roi à l’honneur de son académie, et obtint de lui d’exiger de Voltaire la promesse de ne plus se moquer ni d’elle ni de son président. Voltaire le promit. Malheureusement le roi, qui avait ordonné le silence, se crut dispensé de le garder. Il écrivit des plaisanteries qui se partageaient, mais avec un peu d’inégalité, entre Maupertuis et Voltaire. Celui-ci crut que, par cette conduite, le roi lui rendait sa parole, et que le privilége de se moquer seul des deux partis ne pouvait être compris dans la prérogative royale. Il profita donc d’une permission générale, anciennement obtenue, pour faire imprimer la Diatribe d’Akakia[1], et dévouer Maupertuis à un ridicule éternel.

Le roi rit ; il aimait peu Maupertuis, et ne pouvait l’estimer ; mais jaloux de son autorité, il fit brûler cette plaisanterie par le bourreau[2] : manière de se venger qu’il est assez singulier qu’un roi philosophe ait empruntée de l’Inquisition.

Voltaire, outragé, lui renvoya sa croix, sa clef, et le brevet de sa pension, avec ces quatre vers :

Je les reçus avec tendresse,
Je les renvoie avec douleur,
Comme un amant jaloux, dans sa mauvaise humeur,
Rend le portrait de sa maîtresse.

Il ne soupirait qu’après la liberté ; mais, pour l’obtenir, il ne suffisait pas qu’il eût renvoyé ce qu’il avait d’abord appelé de magnifiques bagatelles, mais qu’il ne nommait plus que les marques de sa servitude. Il écrivait de Berlin, où il était malade, pour demander une permission de partir. Le roi de Prusse, qui ne voulait que l’humilier et le conserver, lui envoyait du quinquina[3], mais point de permission. Il écrivait qu’il avait besoin des eaux de Plombières ; on lui répondit qu’il y en avait d’aussi bonnes en Silésie.

Enfin Voltaire prend le parti de demander à voir le roi : il se flatte que sa vue réveillera des sentiments qui étaient plutôt révoltés qu’éteins. On lui renvoie ses anciennes breloques. Il court à Potsdam, voit le roi ; quelques instants suffisent pour tout changer. La familiarité renaît, la gaieté reparaît, même aux dépens de Maupertuis, et Voltaire obtient la permission d’aller à Plombières, mais en promettant de revenir : promesse peut-être peu sincère, mais aussi obligeait-elle moins qu’une parole donnée entre égaux ; et les cent cinquante mille hommes qui gardaient les frontières de la Prusse ne permettaient pas de la regarder comme faite avec une entière liberté.

  1. Voyez tome XXIII, page 560.
  2. Le 24 décembre 1752.
  3. Voyez la lettre à Mme Denis, du 15 mars 1753.