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VIE DE VOLTAIRE.

Il savait qu’un homme en place en aurait la facilité, et que, sous un gouvernement faible, le crédit d’une maîtresse doit céder à celui des prêtres intrigants ou fanatiques, plus méprisables aux yeux de la raison, mais encore respectés par la populace : il laissa triompher Boyer.

Peu de temps après, le ministre sentit combien l’alliance du roi de Prusse était nécessaire à la France ; mais ce prince craignait de s’engager de nouveau avec une puissance dont la politique incertaine et timide ne lui inspirait aucune confiance. On imagina que Voltaire pourrait le déterminer. Il fut chargé de cette négociation, mais en secret. On convint que les persécutions de Boyer seraient le prétexte de son voyage en Prusse. Il y gagna la liberté de se moquer du pauvre théatin, qui alla se plaindre au roi que Voltaire le faisait passer pour un sot dans les cours étrangères, et à qui le roi répondit que c’était une chose convenue.

Voltaire partit ; et Piron, à la tête de ses ennemis[1], l’accabla d’épigrammes et de chansons sur sa prétendue disgrâce. Ce Piron avait l’habitude d’insulter à tous les hymmes célèbres qui essuyaient des persécutions. Ses œuvres sont remplies des preuves de cette basse méchanceté. Il passait cependant pour un bon homme, parce qu’il était paresseux, et que, n’ayant aucune dignité dans le caractère, il n’offensait pas l’amour-propre des gens du monde.

Cependant, après avoir passé quelque temps avec le roi de Prusse, qui se refusait constamment à toute négociation avec la France, Voltaire eut l’adresse de saisir le véritable motif de ce refus : c’était la faiblesse qu’avait eue la France de ne pas déclarer la guerre à l’Angleterre, et de paraître, par cette conduite, demander la paix quand elle pouvait prétendre à en dicter les conditions.

Il revint alors à Paris, et rendit compte de son voyage. Le printemps suivant, le roi de Prusse déclara de nouveau la guerre à la reine de Hongrie, et par cette diversion utile força ses troupes d’évacuer l’Alsace. Ce service important, celui d’avoir pénétré, en passant à la Haye, les dispositions des Hollandais encore incertaines en apparence, n’obtint à Voltaire aucune de ces marques de considération dont il eut voulu se faire un rempart contre ses ennemis littéraires.

    avait une dissemblance trop marquée entre ces deux hommes pour mettre l’éloge de l’un dans la bouche de l’autre, et donner à rire au public par un rapprochement semblable.

    M. de Maurepas nous a même ajouté qu’il savait depuis très-longtemps que Voltaire avait dit et écrit à ses amis le mot Je vous écraserai ; mais que cette légère injustice d’un homme aussi célèbre ne l’avait pas empêché de solliciter le roi régnant, et d’en obtenir que celui qui avait tant honoré son siècle et sa nation vint jouir de sa gloire au milieu d’elle à la fin de sa carrière.

    Nous avons déjà dit ailleurs que, sans adopter ni blâmer les opinions de notre auteur sur une infinité d’objets, nous nous sommes sévèrement renfermés dans notre devoir d’éditeurs : être impartiaux et fidèles est ce que l’Europe attend de nous ; le reste nous est étranger. (Note du correspondant général de la Société littéraire typographique.) — Cette qualité désigne Beaumarchais.

  1. Il ne l’avait pas toujours été. Lors de la convalescence de Voltaire en 1723, auprès sa petite vérole, Piron lui adressa une lettre flatteuse, presque toute en vers, qui est imprimée pages 521-525 du tome II des Mémoires sur Voltaire, etc., 1826, deux volumes in-8o.