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VIE DE VOLTAIRE.
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Le roi de Prusse déclara la guerre à la fille de Charles VI[1], et profita de sa faiblesse pour faire valoir d’anciennes prétentions sur la Silésie. Deux batailles lui en assurèrent la possession. Le cardinal de Fleury, qui avait entrepris la guerre malgré lui, négociait toujours en secret. L’impératrice sentit que son intérêt n’était pas de traiter avec la France, contre laquelle elle espérait des alliés utiles, qui se chargeraient des frais de la guerre, tandis que si elle n’avait plus à combattre que le roi de Prusse, elle resterait abandonnée à elle-même, et verrait les vœux et les secours secrets des mêmes puissances se tourner vers son ennemi. Elle aima mieux étouffer son ressentiment, instruire le roi de Prusse des propositions du cardinal, le déterminer à la paix par cette confidence, et acheter, par le sacrifice de la Silésie, la neutralité de l’ennemi le plus à craindre pour elle.

La guerre n’avait pas interrompu la correspondance du roi de Prusse et de Voltaire. Le roi lui envoyait des vers du milieu de son camp, en se préparant à une bataille, ou pendant le tumulte d’une victoire[2] ; et Voltaire, en louant ses exploits, en caressant sa gloire militaire, lui prêchait toujours l’humanité et la paix[3].

Le cardinal de Fleury mourut[4]. Voltaire avait été assez lié avec lui, parce qu’il était curieux de connaître les anecdotes du règne de Louis XIV, et que Fleury aimait à les conter, s’arrêtant surtout à celles qui pouvaient le regarder, et ne doutant pas que Voltaire ne s’empressât d’en remplir son histoire ; mais la haine naturelle de Fleury, et de tous les hommes faibles, pour qui s’élève au-dessus des forces communes, l’emporta sur son goût et sur sa vanité.

Fleury avait voulu empêcher les Français de parler et même de penser, pour les gouverner plus aisément. Il avait, toute sa vie, entretenu dans l’État une guerre d’opinions, par ses soins mêmes pour empêcher ces opinions de faire du bruit, et de troubler la tranquillité publique. La hardiesse de Voltaire l’effrayait. Il craignait également de compromettre son repos en le défendant, ou sa petite renommée en l’abandonnant avec trop de lâcheté ; et Voltaire trouva dans lui moins un protecteur qu’un persécuteur caché, mais contenu par son respect pour l’opinion et l’intérêt de sa propre gloire.

  1. Marie-Thérèse.
  2. Voyez entre autres la lettre de Frédéric du 16 avril 1741.
  3. Au lieu de votre majesté, Voltaire l’appelait quelquefois votre humanité : voyez les lettres des derniers jours de décembre 1740 et 29 juin 1741.
  4. 29 janvier 1743.