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VIE DE VOLTAIRE.

En quittant la lecture de Pope, on admire son talent, et l’adresse avec laquelle il défend son système ; mais l’âme est tranquille, et l’esprit retrouve bientôt toutes ses objections plutôt éludées que détruites. On ne peut quitter Voltaire sans être encouragé ou consolé, sans emporter, avec le sentiment douloureux des maux auxquels la nature a condamné les hommes, celui des ressources qu’elle leur a préparées.

La Vie de Charles XII est le premier morceau d’histoire que Voltaire ait publié[1]. Le style, aussi rapide que les exploits du héros, entraîne dans une suite non interrompue d’expéditions brillantes, d’anecdotes singulières, d’événements romanesques qui ne laissent reposer ni la curiosité ni l’intérêt. Rarement quelques réflexions viennent interrompre le récit : l’auteur s’est oublié lui-même pour faire agir ses personnages. Il semble qu’il ne fasse que raconter ce qu’il vient d’apprendre sur son héros. Il n’est question que de combats, de projets militaires ; et cependant on y aperçoit partout l’esprit d’un philosophe, et l’âme d’un défenseur de l’humanité.

Voltaire n’avait écrit que sur des mémoires originaux fournis par les témoins mêmes des événements ; et son exactitude a eu pour garant le témoignage respectable de Stanislas[2], l’ami, le compagnon, la victime de Charles XII.

Cependant on accusa cette histoire de n’être qu’un roman, parce qu’elle en avait tout l’intérêt. Si peut-être jamais aucun homme n’excita autant d’enthousiasme, jamais peut-être personne ne fut traité avec moins d’indulgence que Voltaire. Comme en France la réputation d’esprit est de toutes la plus enviée, et qu’il était impossible que la sienne en ce genre n’effaçât toutes les autres, on s’acharnait à lui contester tout le reste ; et la prétention à l’esprit étant au moins aussi inquiète dans les autres classes que dans celle des gens de lettres, il avait presque autant de jaloux que de lecteurs.

C’était en vain que Voltaire avait cru que la retraite de Cirey le déroberait à la haine : il n’avait caché que sa personne, et sa gloire importunait encore ses ennemis. Un libelle où l’on calomniait sa vie entière vint troubler son repos. On le traitait comme un prince ou comme un ministre, parce qu’il excitait autant d’envie. L’auteur de ce libelle[3] était cet abbé Desfontaines qui devait à Voltaire la liberté, et peut-être la vie. Accusé d’un vice honteux, que la superstition a mis au rang des crimes, il avait été emprisonné dans un temps où, par une atroce et ridicule politique, on croyait très à propos de brûler quelques hommes, afin d’en dégoûter un autre de ce vice[4] pour lequel on le soupçonnait faussement de montrer quelque penchant.

  1. Ainsi que nous l’avons dit page 215, cette Histoire parut en 1731.
  2. Voyez ce témoignage, tome XVI, pages 142-144 ; voyez aussi tome XL, page 147.
  3. Intitulé la Voltairomanie ; voyez ce qui en est dit tome XXIII, page 59.
  4. Voyez la note de Voltaire, tome XVII, page 183.