Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
VIE DE VOLTAIRE.

Il concourut pour le prix de l’Académie des sciences sur la nature et la propagation du feu[1], prit pour devise ce distique, qui, par sa précision et son énergie, n’est pas indigne de l’auteur de la Henriade :

Ignis ubique latet, naturam amplectitur omnem,
Cuncta parit, renovat, dividit, unit, alit[2].

Le prix fut donné à l’illustre Euler, par qui, dans la carrière des sciences, il n’était humiliant pour personne d’être vaincu. Mme  du Châtelet avait concouru en même temps que son ami, et ces deux pièces obtinrent une mention très-honorable.

La dispute sur la mesure des forces occupait alors les mathématiciens. Voltaire, dans un mémoire présenté à l’Académie[3], et approuvé par elle[4], prit le parti de Descartes et de Newton contre Leibnitz et les Bernouilli, et même contre Mme  du Châtelet, qui était devenue leibnitzienne.

Nous sommes loin de prétendre que ces ouvrages puissent ajouter à la gloire de Voltaire, ou même qu’ils puissent lui mériter une place parmi les savants ; mais le mérite d’avoir fait connaître aux Français qui ne sont pas géomètres, Newton, le véritable système du monde, et les principaux phénomènes de l’optique, peut être compté dans la vie d’un philosophe.

Il est utile de répandre dans les esprits des idées justes sur des objets qui semblent n’appartenir qu’aux sciences, lorsqu’il s’agit ou de faits généraux importants dans l’ordre du monde, ou de faits communs qui se présentent à tous les yeux. L’ignorance absolue est toujours accompagnée d’erreurs, et les erreurs en physique servent souvent d’appui à des préjugés d’une espèce plus dangereuse. D’ailleurs les connaissances physiques de Voltaire ont servi son talent pour la poésie. Nous ne parlons pas seulement ici des pièces où il a eu le mérite rare d’exprimer en vers des vérités précises sans les défigurer, sans cesser d’être poëte, de s’adresser à l’imagination et de flatter l’oreille ; l’étude des sciences agrandit la sphère des idées poétiques, enrichit les vers de nouvelles images ; sans cette ressource, la poésie, nécessairement resserrée dans un cercle étroit, ne serait plus que l’art de rajeunir avec adresse, et en vers harmonieux, des idées communes et des peintures épuisées.

Sur quelque genre que l’on s’exerce, celui qui a dans un autre des lumières étendues ou profondes aura toujours un avantage immense. Le génie poétique de Voltaire aurait été le même ; mais il n’aurait pas été un si grand poëte s’il n’eût point cultivé la physique, la philosophie, l’histoire. Ce n’est pas seulement en augmentant le nombre des idées que ces études étrangères sont utiles, elles perfectionnent l’esprit même, parce qu’elles en exercent d’une manière plus égale les diverses facultés.

  1. Essai sur la nature du feu et sur sa propagation, tome XXII.
  2. Ces deux vers sont de Voltaire ; voyez sa lettre à d’Alembert, du 1er juillet 1766, tome XLIV, page 322.
  3. Doutes sur la mesure des forces motrices et sur leur nature, présentés à l’Académie des sciences de Paris en 1741, tome XXIII, page 165.
  4. Voyez Documents biographiques.