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VIE DE VOLTAIRE.

D’un autre côté, les anciens connaissaient moins ces aisances de la vie, nécessaires parmi nous à tous ceux qui ne sont point nés dans la pauvreté. Leur climat les assujettissait à moins de besoins réels, et les riches donnaient plus à la magnificence, aux raffinements de la débauche, aux excès, aux fantaisies, qu’aux commodités habituelles et journalières. Ainsi, en même temps qu’il leur était à la fois plus facile d’être pauvres, et plus difficile d’être riches sans danger, les richesses n’étaient pas chez eux, comme parmi nous, un moyen de se soustraire à une oppression injuste.

Ne blâmons donc point un philosophe d’avoir, pour assurer son indépendance, préféré les ressources que les mœurs de son siècle lui présentaient, à celles qui convenaient à d’autres mœurs et à d’autres temps.

Voltaire avait hérité de son père et de son frère une fortune honnête ; l’édition de la Henriade, faite à Londres, l’avait augmentée ; des spéculations heureuses dans les fonds publics y ajoutèrent encore : ainsi, à l’avantage d’avoir une fortune qui assurait son indépendance, il joignit celui de ne la devoir qu’à lui-même. L’usage qu’il en fit aurait dû la lui faire pardonner.

Des secours à des gens de lettres, des encouragements à des jeunes gens en qui il croyait apercevoir le germe du talent, en absorbaient une grande partie. C’est surtout à cet usage qu’il destinait le faible profit qu’il tirait de ses ouvrages ou de ses pièces de théâtre, lorsqu’il ne les abandonnait pas aux comédiens. Jamais auteur ne fut cependant plus cruellement accusé d’avoir eu des torts avec ses libraires ; mais ils avaient à leurs ordres toute la canaille littéraire, avide de calomnier la conduite de l’homme dont ils savaient trop qu’ils ne pouvaient étouffer les ouvrages. L’orgueilleuse médiocrité, quelques hommes de mérite blessés d’une supériorité trop incontestable ; les gens du monde toujours empressés d’avilir des talents et des lumières, objets secrets de leur envie ; les dévots intéressés à décrier Voltaire pour avoir moins à le craindre ; tous s’empressaient d’accueillir les calomnies des libraires et des Zoïles. Mais les preuves de la fausseté de ces imputations subsistent encore avec celles des bienfaits[1] dont Voltaire a comblé quelques-uns de ses calomniateurs : et nous n’avons pu les voir sans gémir, et sur le malheur du génie condamné à la calomnie, triste compensation de la gloire, et sur cette honteuse facilité à croire tout ce qui peut dispenser d’admirer.

  1. Voyez les lettres de Jore, tome XXXV, pages 77, 84 ; XXXVI, 134 ; XLVI, 145, 311) ; XLVIII, 466 ; — les lettres de Mannory, tome XXXVI, pages 294, 329, 480 ; — Celle de Bonneval, tome XXXVI, page 189.