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VIE DE VOLTAIRE.

Le parlement brûla le livre, suivant un usage jadis inventé par Tibère, et devenu ridicule depuis l’invention de l’imprimerie ; mais il est des gens auxquels il faut plus de trois siècles pour commencer à s’apercevoir d’une absurdité.

Toute cette persécution s’exerçait dans le temps même où les miracles du diacre Pâris[1] et ceux du Père Girard[2] couvraient les deux partis de ridicule et d’opprobre. Il était juste qu’ils se réunissent contre un homme qui osait prêcher la raison. On alla jusqu’à ordonner des informations contre l’auteur[3] des Lettres philosophiques. Le garde des sceaux fit exiler Voltaire, qui, alors absent, fut averti à temps, évita les gens envoyés pour le conduire au lieu de son exil, et aima mieux combattre de loin et d’un lieu sûr. Ses amis prouvèrent qu’il n’avait pas manqué à sa promesse de ne point publier ses Lettres en France, et qu’elles n’avaient paru que par l’infidélité d’un relieur. Heureusement le garde des sceaux était plus zélé pour son autorité que pour la religion, et beaucoup plus ministre que dévot. L’orage s’apaisa, et Voltaire eut la permission de reparaître à Paris.

Le calme ne dura qu’un instant. L’Épître à Uranie[4], jusqu’alors renfermée dans le secret, fut imprimée ; et, pour échapper à une persécution nouvelle, Voltaire fut obligé de la désavouer, et de l’attribuer à l’abbé de Chaulieu, mort depuis plusieurs années. Cette imputation lui faisait honneur comme poëte, sans nuire à sa réputation de chrétien[5].

La nécessité de mentir pour désavouer un ouvrage est une extrémité qui répugne également à la conscience et à la noblesse du caractère ; mais le crime est pour les hommes injustes qui rendent ce désaveu nécessaire à la sûreté de celui qu’ils y forcent. Si vous avez érigé en crime ce qui n’en est pas un, si vous avez porté atteinte, par des lois absurdes ou par des lois arbitraires, au droit naturel qu’ont tous les hommes, non-seulement d’avoir une opinion, mais de la rendre publique, alors vous méritez de perdre celui qu’a chaque homme d’entendre la vérité de la bouche d’un autre, droit qui fonde seul l’obligation rigoureuse de ne pas mentir. S’il n’est pas permis de tromper, c’est parce que tromper quelqu’un c’est lui faire un tort, ou s’exposer à lui en faire un ; mais le tort suppose un droit, et personne n’a celui de chercher à s’assurer les moyens de commettre une injustice.

  1. En 1727 et années suivantes.
  2. Le procès du Père Girard et de la Cadière est de 1731.
  3. Une lettre de cachet du 3 ou 4 mai fut envoyée à l’intendant de Dijon pour faire arrêter Voltaire, alors à Montjeu, aux noces du duc de Richelieu avec Mlle de Guise. Mais Voltaire était parti de Montjeu (voyez dans la présente édition tome XXXIII, pages 422, 434 ; X, 290, et la Revue rétrospective, II, 130). On fit aussi une perquisition dans le domicile de Voltaire à Paris (voyez tome XXXIII, page 429).
  4. L’Épitre à Uranie avait été imprimée dès le commencement de 1732 voyez tome IX, page 358.
  5. Voyez les Œuvres de Chaulieu. (K.) — Voyez surtout la pièce de vers adressée au marquis de La Fare en 1708, commençant par

    Plus j’approche du terme, et moins je le redoute.


    Dans l’édition de 1740 des Œuvres de Chaulieu, la pièce n’est imprimée dans le