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VIE DE VOLTAIRE.

Il n’y resta pas longtemps. M. de Caumartin[1], ami de M. Arouet, fut touché du sort de son fils, et demanda la permission de le mener à Saint-Ange[2], où, loin de ces sociétés alarmantes pour la tendresse paternelle, il devait réfléchir sur le choix d’un état. Il y trouva le vieux Caumartin[3], vieillard respectable, passionné pour Henri IV et pour Sully, alors trop oubliés de la nation. Il avait été lié avec les hommes les plus instruits du règne de Louis XIV, savait les anecdotes les plus secrètes, les savait telles qu’elles s’étaient passées, et se plaisait à les raconter. Voltaire revint de Saint-Ange, occupé de faire un poëme épique dont Henri IV serait le héros, et plein d’ardeur pour l’étude de l’histoire de France. C’est à ce voyage que nous devons la Henriade et le Siècle de Louis XIV.

Ce prince venait de mourir[4]. Le peuple, dont il avait été si longtemps l’idole ; ce même peuple qui lui avait pardonné ses profusions, ses guerres, et son despotisme, qui avait applaudi à ses persécutions contre les protestants, insultait à sa mémoire par une joie indécente. Une bulle sollicitée à Rome contre un livre de dévotion[5] avait fait oublier aux Parisiens cette gloire dont ils avaient été si longtemps idolâtres. On prodigua les satires à la mémoire de Louis le Grand, comme on lui avait prodigué les panégyriques pendant sa vie. Voltaire, accusé d’avoir fait une de ces satires, fut mis à la Bastille : elle finissait par ce vers :

J’ai vu ces maux, et je n’ai pas vingt ans[6].

Il en avait un peu plus de vingt-deux[7] ; et la police regarda cette espèce de conformité d’âge comme une preuve suffisante pour le priver de sa liberté.

    à Mlle Dunoyer. Ce fut chez ce procureur que Voltaire connut Thieriot et Bainast, à qui est adressée la lettre 347, tome XXXIII, page 358.

  1. Voyez la note, tome XIV, page 52.
  2. Château à trois lieues de Fontainebleau ; voyez la note, tome VIII, page 274, et aussi les jolis vers de Voltaire sur ce château, dans son épître au prince de Vendôme, tome X, page 241.
  3. Voyez la note, tome XXXVIII, page 336.
  4. Le 1er septembre 1715.
  5. Explication des Maximes des saints sur la vie intérieure, par Fénelon ; voyez tome XV, page 67.
  6. Voyez la pièce entière parmi les Documents biographiques.
  7. Voltaire, né en 1694, avait plus de vingt-deux ans en 1717 ; il n’en avait pas encore vingt-deux lorsqu’en mai 1716 il fut exilé à Tulle ; mais Arouet père obtint que son fils fût envoyé à Sully-sur-Loire, où il avait des parents. Cette première persécution eut lieu à cause des vers sur le duc d’Orléans et la duchesse de Berry (qui sont tome X, page 473).
    Ce fut le jour de la Pentecôte 1717 que Voltaire fut arrêté, comme il le dit dans sa pièce intitulée la Bastille (voyez tome IX, page 353). Or, en 1717, la Pentecôte tombait le 16 mai ; mais il paraît qu’il ne fut mis à la Bastille que le 17. Il y avait plus de vingt mois que Louis XIV était mort. Les J’ai vu de Le Brun doivent être de 1715, et devaient être oubliés en 1717. Voltaire, en parlant de la persécution qu’il essuya alors, dit que la cause fut la pièce de Le Brun. J’en doute, et je pense que le sujet de la détention de Voltaire était la pièce commençant par