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VIE DE VOLTAIRE.

Au sortir du collége, il retrouva dans la maison paternelle l’abbé de Châteauneuf son parrain, ancien ami de sa mère. C’était un de ces hommes qui, s’étant engagés dans l’état ecclésiastique par complaisance, ou par un mouvement d’ambition étrangère à leur âme, sacrifient ensuite à l’amour d’une vie libre la fortune et la considération des dignités sacerdotales, ne pouvant se résoudre à garder toujours sur leur visage le masque de l’hypocrisie.

L’abbé de Châteauneuf était lié avec Ninon, à laquelle sa probité, son esprit, sa liberté de penser, avaient fait pardonner depuis longtemps les aventures un peu trop éclatantes de sa jeunesse. La bonne compagnie lui avait su gré d’avoir refusé son ancienne amie, Mme de Maintenon, qui lui avait offert de l’appeler à la cour, à condition qu’elle se ferait dévote. L’abbé de Châteauneuf avait présenté à Ninon Voltaire enfant, mais déjà poëte, désolant déjà par de petites épigrammes son janséniste de frère[1] et récitant avec complaisance la Moïsade[2] de Rousseau.

    tait à une distribution de prix, fut frappé d’entendre appeler souvent le nom d’Arouet, et en parla au Père Tarteron, qui lui présenta le jeune écolier.

    Le Constitutionnel du 15 décembre 1833 contient cette singulière annonce :

    « Premier grand prix de discours latin remporté par Voltaire en 1710. Cet ouvrage sera livré à la personne qui aura mis la plus forte enchère, d’ici au 15 janvier 1834, midi précis, sur la mise à prix de 2,000 fr. Une notice sur cet ouvrage, rare et unique sous un rapport, auquel est joint un certificat authentique, sera envoyée aux personnes qui la désireraient. S’adresser, franc de port, à M. Cartier, artiste, rue des Ursulines, n° 38, à Saint-Germain-en-Laye. »

    Les chalands ne se présentant pas, le volume fut compris dans un Catalogue de livres où se trouvent quelques ouvrages en langue italienne, espagnole et allemande, provenant de la bibliothèque de M. ***, dont la vente se fera le jeudi 13 mars 1834 et jours suivants, à six heures de relevée, rue des Bons-Enfants, n° 30, maison Silvestre.

    Voici ce qu’on lit à la page 43 de ce catalogue :

    « 418. Histoire des guerres civiles de France, par Davila ; in-fol., v. dent. »

    Et en note :

    « Ce volume paraît avoir appartenu à Voltaire, auquel il aurait été donné comme premier prix de discours latin au collége des jésuites de Louis-le-Grand. À la page 655 de ce volume sont deux vers alexandrins manuscrits, attribués aussi à Voltaire. »

    À ce volume était jointe l’attestation d’un prix à François Arouet, le 1er janvier 1710, pour vers latins (strictœ orationis). Le frontispice du volume est enlevé, mais par l’achevé d’imprimer on voit qu’il est de l’édition de 1657. Rien ne prouve l’identité de ce volume avec celui qui doit avoir été donné en prix à Voltaire, si ce n’est que le volume a le monogramme des jésuites.

    À la page 655, on lit en marge et en majuscules ces deux vers manuscrits :

    DE MA GLOIRE PASSÉE ILLUSTRE TÉMOIGNAGE,
    POUR CINQUANTE-DEUX SOLS JE T’AI MIS EN OTAGE.

    N’ayant jamais vu de l’écriture moulée de Voltaire, je ne puis que douter que ces deux vers soient de sa main. Ce que je puis affirmer, c’est que, le 17 mars, le livre, mis sur table, a été adjugé pour six francs. (B.)

    Dans une note de M. Desnoiresterres, page 183 de la Jeunesse de Voltaire, la même anecdote est appliquée, d’une manière un peu dubitative il est vrai, à l’Histoire d’Italie de Guichardin. Les deux vers sont cités, mais non tout à fait de même :

    De mes premiers succès illustre témoignage,
    Pour trois livres dix sous je te mis en otage.

    Ces divergences nous ont fait renoncer à recueillir, malgré le vœu de M. Bengesco (Voltaire, Bibliographie de ses œuvres, tome 1er, page 321), ce distique dans notre Supplément aux Poésies.

  1. C’est Voltaire lui-même qui, dans une épître au maréchal de Villars, a dit :
    Et mon janséniste de frère.
    Voyez tome X, page 252.
  2. La Moïsade, pièce de vers que Rousseau attribuait à Voltaire et que Voltaire attribuait à Rousseau, est de Lourdet ; voyez Jugements sur quelques ouvrages nouveaux, I, 273. La Moïsade commence ainsi :

    Votre impertinente leçon,
    Ne détruit pas mon pyrrhonisme, etc.

    Elle est dans quelques éditions de Rousseau. (B.)