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PAR LA HARPE.


inouï, n’en auront pu conserver que des traces confuses, se rappelleront, après de longues années, cet étonnant spectacle, et le raconteront à nos neveux. « Nous y étions, diront-ils ; nous l’avons vu. Il était comme porté par tout un peuple. On couronna sa tête. Il pleurait… et un moment après il n’était plus… »

Il n’était plus ! cet éclatant appareil était dressé sur une tombe !… Que dis-je, une tombe ?… Voix souveraine et inexorable de la postérité ! toi, que nulle puissance ne peut ni prévenir ni étouffer, qui révèles au monde entier ce que l’on croit cacher à une nation, et redis dans tous les âges ce qu’on a voulu taire un moment ; le temps n’est pas éloigné où tu raconteras ce que je craindrais de retracer ; tu ne m’imputeras point mon silence, et ce sera même une injure de plus que tu auras à venger.

Et moi, tandis que la haine faisait servir ton nom à la calomnie qui m’outrageait, ô grand homme ! je n’adressais mes plaintes qu’à ton ombre. Elle était présente à mes yeux quand je lui préparais en silence ces tributs secrets, alors seul objet de mes veilles, seul adoucissement de tant d’amertumes. Je t’appelais sur ce théâtre où t’attendaient les honneurs funèbres que je t’offris au nom et en présence de la nation[1]. La pompe dont tes yeux avaient joui se renouvela pour tes mânes, qui peut-être n’y furent pas insensibles, s’il est vrai que le sentiment de la vraie gloire soit immortel en nous, comme l’esprit qui nous anime. J’ai chanté la tienne sur tous les tons[2] qu’a pu essayer ma faible voix, qui du moins s’est fait entendre ; et ce n’est enfin qu’après m’être acquitté ainsi de tout ce que mon cœur destinait à ta mémoire, que je pouvais pardonner à l’injustice.

FIN DE L’ÉLOGE DE VOLTAIRE PAR LA HARPE.
  1. Les comédiens français avaient représenté, le 1er février 1779, les Muses rivales, ou l’Apothéose de Voltaire, en un acte et en vers libres, par La Harpe.
  2. L’Académie française ayant, pour le sujet du prix de poésie de 1779, proposé l’éloge de Voltaire, La Harpe, membre de l’Académie, avait, contrairement aux statuts et usages, envoyé au concours un Dithyrambe aux mânes de Voltaire, qui obtint le prix ; mais le billet cacheté joint à l’ouvrage ne contenait aucun nom, et d’Argental ayant déclaré que l’auteur du Dithyrambe ne voulait point être connu, le montant du prix fut donné à Murville, dont la pièce avait eu l’accessit.

    Ce n’est pas tout encore. La Harpe avait, du vivant de Voltaire, composé, pour la Galerie universelle, un Précis historique sur M. de Voltaire, qui a aussi été imprimé in-8°.