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ÉLOGE DE VOLTAIRE


écarts d’une raison audacieuse, aux sinistres influences de l’irréligion, que la vérité et la vertu[1].

Il eût été à souhaiter sans doute que Voltaire lui-même n’opposât à ses ennemis que le mépris qu’il leur devait. Élevé assez haut pour ne pas les apercevoir, il daigna descendre jusqu’à s’en venger, et se compromit en les accablant. L’opprobre de leur nom, qui ne souillera point cet éloge, est attaché à l’immortalité de ses écrits ; et, ce qui peut donner une idée de leur ignominie, ils se sont enorgueillis plus d’une fois de lui devoir cette flétrissante renommée. Mais en reconnaissant que le parti du silence est en général le plus noble et le plus sage, en regrettant même que Voltaire, qui sut donner à la satire une forme dramatique si piquante et si neuve, ne l’ait pas toujours restreinte dans de justes limites, sera-t-il permis de tempérer par quelques réflexions la rigueur de cette loi qui prescrit ce silence si rarement gardé, et d’affaiblir les reproches si sévères que l’on fait aux transgresseurs ?

Cette loi, aujourd’hui établie par l’opinion, n’a-t-elle été dictée que par un sentiment de vénération pour le génie, et par la haute idée de ce qu’il se doit à lui-même ? Les hommes ont-ils en effet pour lui ce respect si épuré et si religieux ? ne serait-ce pas plutôt une suite de cette espèce d’ostracisme dont le principe est dans leurs cœurs, et de ce plaisir secret qu’ils goûtent à entendre médire de ce qu’ils sont forcés d’estimer ? n’est-ce pas qu’ils veulent jouir à la fois des travaux du grand écrivain et des assauts qu’on lui livre ; qu’ils croient que ce double spectacle leur appartient également, et qu’ils regardent la résistance comme un attentat à leurs droits ? Ils ne pardonnent pas, s’il faut les en croire, qu’on réfute ce qui est méprisable ; mais ne sont-ils pas toujours prêts à accueillir avec complaisance la plus méprisable censure ? Ils ne conçoivent pas cette sensibilité de Racine, qui avouait le mal que lui faisait la plus mauvaise critique ; mais qu’est-ce autre chose, après tout, que l’indignation d’un cœur droit et d’un bon esprit contre tout ce qui est faux et injuste ? Et qu’a donc ce sentiment de si étrange et de si répréhensible ? Ils s’étonnent que parmi tant de suffrages on entende les contradictions, qu’au milieu de tant de gloire on s’aperçoive des offenses ; mais n’est-ce pas ainsi que l’homme est fait ? n’est-il pas d’ordinaire plus touché de ce qui lui manque que de ce qu’il obtient ? toutes les jouissances ne sont-elles pas faciles à troubler ? et quel bonheur enfin n’est pas aisément altéré par la méchanceté et la calomnie ?

Que l’on ait amèrement reproché à Voltaire une sensibilité trop irritable, ce n’est qu’un excès de sévérité. Mais cette espèce d’inquisition si terrible et souvent si odieuse que l’on porte sur la vie des hommes célèbres, et jusque dans les replis de leur conscience, a chargé sa mémoire d’un reproche plus grave. Ce même homme, que j’ai représenté toujours en butte à

  1. Le public instruit et juste nommera sans peine les personnes respectables à qui s’adresse cet éloge. (Note de l’auteur de l’Éloge.)

    — Je pense que les prélats dont La Harpe parle sont Beauvais, évêque de Senez, et de La Luzerne, évêque de Langres, depuis cardinal. (B.)