Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
PAR LA HARPE.


Il lutte d’abord, dans le premier sujet qu’il choisit, contre l’éloquence antique, contre les Quinte-Curce et les Tite-Live ; il donne à notre langue toute la richesse et la majesté de leur style. On sera surpris peut-être qu’un historien philosophe ait commencé par écrire la vie d’un conquérant ; mais la singularité du sujet pouvait plaire à une imagination poétique, et la renommée décida son choix. L’Europe s’entretenait encore de ce fameux Suédois, plus fait pour être l’étonnement de ses contemporains que l’admiration des âges suivants ; qui ne connut ni la mesure des vertus ni celle des prospérités ; fit plus d’un roi, et ne sut pas l’être ; se trompa également, et sur la gloire qu’il idolâtrait, et sur un ennemi qu’il méprisait ; qui, envahissant tant de pays, ne fit à aucun tant de mal qu’au sien ; dont l’héroïsme ne fut qu’un excès, et la fortune une illusion ; enfin qui, après avoir voulu tout forcer, la nature et les événements, alla porter chez des barbares une réputation éclipsée, une existence précaire, une royauté captive et insultée, et fut réduit à n’être plus célèbre que comme un aventurier, et à mourir comme un soldat.

À ce portrait achevé par la main de Voltaire, succéda celui d’un monarque supérieur à Charles XII, autant que les héros de l’histoire sont au-dessus de ceux de la fable ; de Louis XIV, mémorable à double titre, et pour avoir donné son nom à un siècle, et pour en avoir reçu celui de grand. Nul prince n’a obtenu plus de louanges pendant sa vie, ni essuyé plus de reproches après sa mort ; mais la postérité équitable a couvert ses fautes de tout le bien qu’il a fait ; elle l’absout d’avoir été conquérant, parce qu’en même temps il sut être roi. Son courage dans le malheur a expié l’orgueil de ses victoires, et sa grandeur ne lui sera point ôtée, parce qu’elle est attachée à la grandeur française, qui fut son ouvrage. Voltaire a rendu le nom de Louis XIV plus respectable, comme il avait rendu celui de Henri IV plus cher ; et cet âge brillant, si souvent peint dans le nôtre, ne l’a jamais été sous des traits plus intéressants et plus magnifiques que dans cet ouvrage, placé parmi les monuments de notre histoire au même rang que la Henriade parmi ceux de notre poésie.

Le même homme qui avait étendu et enrichi l’art de la tragédie agrandit alors la carrière nouvelle où il venait d’entrer ; il y laissa, comme dans toutes les autres, des traces neuves et profondes, sur lesquelles tout s’est empressé de marcher après lui ; et il était bien juste que celui qui, le premier, avait mis la philosophie sur la scène l’introduisît dans l’histoire. L’histoire dès lors fut tracée sur un plan plus vaste, et dirigée vers un but plus utile et plus moral ; elle ne se borna plus à satisfaire l’imagination avide des grands événements : elle sut contenter aussi cette autre curiosité plus sage qui cherche des objets d’instruction.

Ce ne fut plus seulement le récit des calamités de tant de peuples et des fautes de tant de souverains, ce fut surtout la peinture de l’esprit humain au milieu de ses secousses politiques, le résultat de ses connaissances et de ses erreurs, de ses acquisitions et de ses pertes. Clio, accoutumée auparavant à n’habiter que les champs de bataille et les conseils des rois, entra dans la demeure des sages et dans les ateliers des artistes ; elle assista à ces rares