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ÉLOGE DE VOLTAIRE


la domination, mais une âme sublime qui ne veut être au-dessus des autres que parce qu’elle se sent digne de commander ; dans Zopire, la haine des forfaits et le zèle d’un citoyen ; dans Mahomet, la scélératesse altière et réfléchie qui ne trompe et ne subjugue les hommes qu’à force de les mépriser ; dans Alvarez, la bonté compatissante ; dans Couci, l’amitié ferme et magnanime ; dans Vendôme, cette sensibilité passionnée et impétueuse qui ne met qu’un instant entre la fureur et le crime, entre le crime et les remords ; dans Zamti, le dévouement héroïque d’un sujet qui sacrifie tout à son roi ; dans Idamé, une âme pure et maternelle, attachée à tous ses devoirs, mais n’en reconnaissant aucun avant ceux de la nature ; dans Tancrède, le cœur d’un chevalier qui ne respire que pour la gloire et pour sa maîtresse, et qui ne peut supporter la vie s’il faut que l’une lui soit infidèle, ou qu’il soit lui-même infidèle à l’autre. Que peut-on mettre au-dessus de cette foule de portraits qui prouvent à la fois tant de fécondité dans l’invention, tant de force dans le jugement, et qui brillent de ce singulier éclat que, par une expression transportée de la peinture à la poésie, on a nommé le coloris de Voltaire ?

Le talent du style a toujours été regardé comme la qualité distinctive des hommes supérieurs dans les lettres et dans les arts de l’esprit ; c’est lui qui fait l’orateur et le poëte. La manière de s’exprimer tient à celle de sentir ; les grandes beautés de diction appartiennent à une grande force de tête ; et l’homme qui excelle dans l’art d’écrire ne peut pas être médiocre dans la faculté de concevoir. On peut apprendre à être correct et pur ; mais c’est la nature seule qui donne à ses favoris cette sensibilité active et féconde qui se répand de l’âme de l’écrivain, et anime tout ce qu’il compose.

C’est en effet le même feu qui fait vivre les ouvrages et l’auteur ; c’est de là qu’on a dit avec tant de vérité que l’on se peint dans ses productions. Comment, en effet, ces enfants du génie ne porteraient-ils pas l’empreinte de la ressemblance paternelle ? comment n’offriraient-ils pas les mêmes traits, étant formés de la même substance ? C’est la naïveté de La Fontaine que j’aime dans celle de ses vers. Je reconnais dans ceux de Molière le grand sens et la simplicité de mœurs de leur auteur ; dans ceux de Racine, le goût exquis et les grâces qui le distinguaient dans la société ; dans ceux de Boileau, la raison sévère qui le faisait craindre ; dans ceux de Voltaire, ce feu d’imagination qui a été proprement son caractère autant que celui de ses ouvrages.

Par une suite de cette faculté, la plus prompte de toutes et la plus agissante, avec quelle flexibilité son style se variait incessamment d’un genre à l’autre, et se pliait à tous les tons ! Quel charme dans Zaïre ! quelle énergie dans Brutus ! quelle douce simplicité dans Mérope ! quelle élévation dans Mahomet ! quelle pompe étrangère et sauvage dans Alzire ! quelle magnificence orientale dans Sémiramis et dans l’Orphelin !

Il s’offre encore ici un de ces parallèles séduisants qu’entraîne toujours l’éloge d’un grand homme. Le style de Voltaire rappelle aussitôt celui de Racine ; et c’est un honneur égal pour ces deux poëtes immortels, de ne pouvoir être comparés que l’un à l’autre. Pourquoi d’ailleurs se refuser à