Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
ÉLOGE DE VOLTAIRE


Mais allons plus loin, comparons la morale répandue dans ses ouvrages à celle de ses persécuteurs : Les hommes doivent s’aimer comme des frères, dit-il ; leur devoir est de s’aider mutuellement à supporter le fardeau de la vie, où la somme des maux l’emporte sur celle des biens ; leurs opinions sont aussi différentes que leurs physionomies ; loin de se persécuter parce qu’ils ne pensent pas de même, ils doivent se borner à rectifier le jugement de ceux qui sont dans l’erreur, par le raisonnement, sans substituer aux arguments le fer et les flammes ; en un mot, ils doivent se conduire envers leur prochain comme ils voudraient qu’il en usât envers eux. Est-ce M. de Voltaire qui parle ? ou est-ce l’apôtre saint Jean, ou est-ce le langage de l’Évangile ?

Opposons à ceci la morale pratique de l’hypocrisie ou du faux zèle ; elle s’exprime ainsi : Exterminons ceux qui ne pensent pas ce que nous voulons qu’ils pensent, accablons ceux qui dévoilent notre ambition et nos vices ; que Dieu soit le bouclier de nos iniquités, que les hommes se déchirent, que le sang coule, qu’importe, pourvu que notre autorité s’accroisse ? Rendons Dieu implacable et cruel, pour que la recette des douanes du purgatoire et du paradis augmente nos revenus.

Voilà comme la religion sert souvent de prétexte aux passions des hommes, et comme par leur perversité la source la plus pure du bien devient celle du mal !

La cause de M. de Voltaire étant aussi bonne que nous venons de l’exposer, il emporta les suffrages de tous les tribunaux où la raison était plus écoutée que les sophismes mystiques. Quelque persécution qu’il endurât de la haine théologale, il distingua toujours la religion de ceux qui la déshonorent ; il rendait justice aux ecclésiastiques dont les vertus ont été le véritable ornement de l’Église ; il ne blâmait que ceux dont les mœurs perverses les rendirent l’abomination publique.

M. de Voltaire passa donc ainsi sa vie entre les persécutions de ses envieux et l’admiration de ses enthousiastes, sans que les sarcasmes des uns l’humiliassent, et que les applaudissements des autres accrussent l’opinion qu’il avait de lui-même ; il se contentait d’éclairer le monde, et d’inspirer par ses ouvrages l’amour des lettres et de l’humanité. Non content de donner des préceptes de morale, il prêchait la bienfaisance par son exemple. Ce fut lui dont l’appui courageux vint au secours de la malheureuse famille des Calas ; qui plaida la cause des Sirven, et les arracha des mains barbares de leurs juges ; il aurait ressuscité le chevalier de La Barre, s’il avait eu le don des miracles. Il est beau qu’un philosophe, du fond de sa retraite, élève sa voix, et que l’humanité, dont il est l’organe, force les juges à réformer des arrêts iniques. Si M. de Voltaire n’avait par devers lui que cet unique trait, il mériterait d’être placé parmi le petit nombre des véritables bienfaiteurs de l’humanité.

La philosophie et la religion enseignent donc de concert le chemin de la vertu. Voyez lequel est le plus chrétien, ou le magistrat qui force cruellement une famille à s’expatrier, ou le philosophe qui la recueille et la soutient ; le juge qui se sert du glaive de la loi pour assassiner un étourdi, ou