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PAR LE ROI DE PRUSSE.


Cependant, comme dans ce monde le mal se trouve partout mêlé au bien, il arrivait que M. de Voltaire, sensible à l’applaudissement universel dont il jouissait, ne l’était pas moins aux piqûres de ces insectes qui croupissent dans les fanges de l’Hippocrène. Loin de les punir, il les immortalisait en plaçant leurs noms obscurs dans ses ouvrages. Mais il ne recevait d’eux que des éclaboussures légères, en comparaison des persécutions plus violentes qu’il eut à souffrir des ecclésiastiques, qui, par état, n’étant que des ministres de paix, n’auraient dû pratiquer que la charité et la bienfaisance : aveuglés par un faux zèle autant qu’abrutis par le fanatisme, ils s’acharnèrent sur lui, et voulurent l’accabler en le calomniant. Leur ignorance fit échouer leur projet ; faute de lumières, ils confondaient les idées les plus claires ; de sorte que les passages où notre auteur insinue la tolérance furent interprétés par eux comme contenant les dogmes de l’athéisme. Et ce même Voltaire, qui avait employé toutes les ressources de son génie pour prouver avec force l’existence d’un Dieu, s’entendit accuser, à son grand étonnement, d’en avoir nié l’existence.

Le fiel que ces âmes dévotes répandirent si maladroitement sur lui trouva des approbateurs chez les gens de leur espèce, et non pas chez ceux qui avaient la moindre teinture de dialectique. Son crime véritable consistait en ce qu’il n’avait pas lâchement déguisé dans son histoire les vices de tant de pontifes qui ont déshonoré l’Église ; de ce qu’il avait dit avec Fra-Paolo, avec Fleury, et tant d’autres, que souvent les passions influent plus sur la conduite des prêtres que l’inspiration du Saint-Esprit ; que dans ses ouvrages il inspire de l’horreur contre ces massacres abominables qu’un faux zèle a fait commettre, et qu’enfin il traitait avec mépris ces querelles inintelligibles et frivoles auxquelles les théologiens de toute secte attachent tant d’importance. Ajoutons à ceci, pour achever ce tableau, que tous les ouvrages de M. de Voltaire se débitaient aussitôt qu’ils sortaient de la presse, et que, dans ce même temps, les évêques voyaient avec un saint dépit leurs mandements rongés des vers, ou pourrir dans les boutiques de leurs libraires.

Voilà comme raisonnent des prêtres imbéciles. On leur pardonnerait leur bêtise, si leurs mauvais syllogismes n’influaient pas sur le repos des particuliers : tout ce que la vérité oblige de dire, c’est qu’une aussi fausse dialectique suffit pour caractériser ces êtres vils et méprisables qui, faisant profession de captiver leur raison, font ouvertement divorce avec le bon sens.

Puisqu’il s’agit ici de justifier M. de Voltaire, nous ne devons dissimuler aucune des accusations dont on le chargea. Les cagots lui imputèrent donc encore d’avoir exposé les sentiments d’Épicure, de Hobbes, de Woolston, du lord Bolingbroke, et d’autres philosophes. Mais n’est-il pas clair que, loin de fortifier ces opinions par ce que tout autre y aurait pu ajouter, il se contente d’être le rapporteur d’un procès dont il abandonne la décision à ses lecteurs ? Et de plus, si la religion a pour fondement la vérité, qu’a-t-elle à appréhender de tout ce que le mensonge peut inventer contre elle ? M. de Voltaire en était si convaincu qu’il ne croyait pas que les doutes de quelques philosophes pussent l’emporter sur les inspirations divines.