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PAR LE ROI DE PRUSSE.


Nous ne nous proposons pas, messieurs, d’entrer dans le détail de la vie privée de M. de Voltaire. L’histoire d’un roi doit consister dans l’énumération des bienfaits qu’il a répandus sur ses peuples ; celle d’un guerrier, dans ses campagnes ; celle d’un homme de lettres, dans l’analyse de ses ouvrages : les anecdotes peuvent amuser la curiosité ; les actions instruisent. Mais comme il est impossible d’examiner en détail la multitude d’ouvrages que nous devons à la fécondité de M. de Voltaire, vous voudrez bien, messieurs, vous contenter de l’esquisse légère que je vous en tracerai, me bornant d’ailleurs à n’effleurer qu’en passant les événements principaux de sa vie. Ce serait donc déshonorer M. de Voltaire que de s’appesantir sur des recherches qui ne concernent que sa famille. À l’opposé de ceux qui doivent tout à leurs ancêtres, et rien à eux-mêmes, il devait tout à la nature : il fut seul l’instrument de sa fortune et de sa réputation. On doit se contenter de savoir que ses parents, qui avaient des emplois dans la robe, lui donnèrent une éducation honnête ; il étudia au collége de Louis-le-Grand, sous les Pères Porée et Tournemine, qui furent les premiers à découvrir les étincelles de ce feu brillant dont ses ouvrages sont remplis.

Quoique jeune, M. de Voltaire n’était pas regardé comme un enfant ordinaire ; sa verve s’était déjà fait connaître. C’est ce qui l’introduisit dans la maison de Mme de Rupelmonde[1] : cette dame, charmée de la vivacité d’esprit et des talents du jeune poëte, le produisit dans les meilleures sociétés de Paris. Le grand monde devint pour lui l’école où son goût acquit ce tact fin, cette politesse, et cette urbanité à laquelle n’atteignent jamais ces savants érudits et solitaires qui jugent mal de ce qui peut plaire à la société raffinée, trop éloignée de leur vue pour qu’ils puissent la connaître. C’est principalement au ton de la bonne compagnie, à ce vernis répandu dans les ouvrages de M. de Voltaire, que ceux-ci doivent la vogue dont ils jouissent.

Déjà sa tragédie d’Œdipe et quelques vers agréables de société avaient paru dans le public, lorsqu’il se débita à Paris une satire en vers indécents contre le duc d’Orléans, alors régent de France. Un certain Lagrange[2], auteur de cette œuvre de ténèbres, pour éviter d’être soupçonné, trouva le moyen de la faire passer sous le nom de M. de Voltaire. Le gouvernement agit avec précipitation ; le jeune poëte, tout innocent qu’il était, fut arrêté, et conduit à la Bastille, où il demeura quelques mois[3]. Mais, comme le propre de la vérité est de se faire jour tôt ou tard, le coupable fut puni[4], et M. de Voltaire justifié et relâché. Croiriez-vous, messieurs, que ce fut à

  1. À qui Voltaire adressa l’Épître à Uranie : voyez tome IX, page 308.
  2. Lagrange-Chancel est auteur des Philippiques, odes pour lesquelles il fut emprisonné plusieurs années, mais qui n’ont jamais été attribuées à Voltaire. La pièce qui fit, dit-on, mettre Voltaire à la Bastille était intitulée Les j’ai vu ; elle est dans les Documents biographiques, n° III, à la suite de la Vie de Voltaire, dans le présent volume.
  3. Entré à la Bastille le 17 mai 1717, Voltaire n’en sortit que le 11 avril 1718.
  4. Il ne paraît pas que Le Brun ait été puni. Mais Frédéric croyait que c’était l’ouvrage de Lagrange qu’on avait attribué à Voltaire.