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ÉLOGE
DE VOLTAIRE

LU À L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES ET BELLES-LETTRES DE BERLIN,
DANS UNE ASSEMBLÉE PUBLIQUE EXTRAORDINAIRE
CONVOQUÉE POUR CET OBJET, LE 26 NOVEMBRE 1778[1].

Messieurs,

Dans tous les siècles, surtout chez les nations les plus ingénieuses et les plus polies, les hommes d’un génie élevé et rare ont été honorés pendant leur vie, et encore plus après leur mort. On les considérait comme des phénomènes qui répandaient leur éclat sur leur patrie. Les premiers législateurs qui apprirent aux hommes à vivre en société ; les premiers héros qui défendirent leurs concitoyens ; les philosophes qui pénétrèrent dans les abîmes de la nature, et qui découvrirent quelques vérités ; les poëtes qui transmirent les belles actions de leurs contemporains aux races futures : tous ces hommes furent regardés comme des êtres supérieurs à l’espèce humaine.
  1. Tel est le titre de cet Éloge, dans les éditions séparées qui on furent faites en 1778, et dans les Œuvres de Frédéric II, roi de Prusse, qui en est l’auteur. Dans les éditions de Kehl, cet Éloge est imprimé dans le dernier volume (tome LXX, in-8°, ou tome XCII, in-12). Depuis lors on l’a imprimé le plus souvent dans le même volume que la Vie de Voltaire, disposition que nous avons suivie.

    Frédéric l’avait composé au camp de Schazlar, pendant la guerre de 1778 pour la succession de la Bavière.

    Grimm, en annonçant cet Éloge, dit dans sa Correspondance (janvier 1779) :

    « S’il était beau de voir, comme le dit M. de Voltaire, le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille, il est encore plus beau de voir le grand Frédéric au milieu du tumulte des armes consacrer quelques-unes de ses veilles à la mémoire du grand Voltaire.

    « Toute l’Europe sait que cet éloge est du roi de Prusse, et ce titre seul suffirait pour en faire un monument éternellement précieux aux lettres. Si l’on s’est permis de désirer quelque chose dans cet ouvrage, c’est que la forme en fût moins oratoire, moins académique ; on croit qu’un style plus abandonné lui eut laissé davantage l’empreinte du caractère et du génie de son auguste autour. Le plus grand prix dont cet éloge pouvait être susceptible, c’était de montrer sans cesse Frédéric à côté de Voltaire, le héros à côté de l’homme de lettres, unis par la même passion pour les arts, et se couvrant mutuellement de l’éclat de leur gloire. »