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COMMENTAIRE


« Je ne sais point mauvais gré à ceux qui m’ont fait parler saintement dans un style si barbare et si impertinent. Ils ont pu mal exprimer mes sentiments véritables, ils ont pu redire dans leur jargon ce que j’ai publié si souvent en français ; ils n’en ont pas moins exprimé la substance de mes opinions. Je suis d’accord avec eux : je m’unis à leur foi ; mon zèle éclairé seconde leur zèle ignorant ; je me recommande à leurs prières savoyardes. Je supplie humblement les pieux faussaires qui ont fait rédiger l’acte du 15 avril de vouloir bien considérer qu’il ne faut jamais faire d’actes faux en faveur de la vérité. Plus la religion catholique est vraie (comme tout le monde le sait), moins on doit mentir pour elle. Ces petites libertés trop communes autoriseraient d’autres impostures plus funestes : bientôt on se croirait permis de fabriquer de faux testaments, de fausses donations, de fausses accusations, pour la gloire de Dieu. De plus horribles falsifications ont été employées autrefois.

« Quelques-uns de ces prétendus témoins ont avoué qu’ils avaient été subornés, mais qu’ils avaient cru bien faire. Ils ont signé qu’ils n’avaient menti qu’à bonne intention.

« Tout cela s’est opéré charitablement, sans doute à l’exemple des rétractations imputées à MM. de Montesquieu, de La Chalotais, de Monclar, et de tant d’autres. Ces fraudes pieuses sont à la mode depuis environ seize cents ans. Mais quand cette bonne œuvre va jusqu’au crime de faux, on risque beaucoup dans ce monde, en attendant le royaume des cieux. »

Notre solitaire continua donc gaiement à faire un peu de bien quand il le pouvait, en se moquant de ceux qui faisaient tristement du mal, et en fortifiant, souvent par des plaisanteries, les vérités les plus sérieuses.

Il avoua qu’il avait poussé trop loin cette raillerie contre quelques-uns de ses ennemis. « J’ai tort, dit-il dans une de ses lettres ; mais ces messieurs m’ayant attaqué pendant quarante ans, la patience m’a échappé dix ans de suite. »

La révolution faite dans tous les parlements du royaume, en 1771, devait l’embarrasser. Il avait deux neveux, dont l’un[1] entrait au parlement de Paris, tandis que l’autre[2] en sortait ; tous deux d’un mérite distingué, et d’une probité incorruptible, mais engagés l’un et l’autre dans des partis opposés. Il ne cessa de les aimer également tous deux, et d’avoir pour eux les mêmes at-

  1. L’abbé Mignot.
  2. D’Hornoy.