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COMMENTAIRE


envoya avec ce mot gravé sur la base : Immortali. M. de Voltaire écrivit au-dessous :

Vous êtes généreux : vos bontés souveraines
Me font de trop nobles présents ;
Vous me donnez sur mes vieux ans
Une terre dans vos domaines.

M. Pigalle se chargea d’exécuter la statue en France, avec le zèle d’un artiste qui en immortalisait un autre. Cette aventure, alors unique, deviendra bientôt commune. On érigera des statues ou du moins des bustes aux artistes, comme la mode est venue de crier : l’auteur ! l’auteur ! dans le parterre. Mais celui à qui l’on faisait cet honneur prévoyait bien que ses ennemis n’en seraient que plus acharnés. Voici ce qu’il en écrivit à M. Pigalle, d’un style peut-être un peu trop burlesque :

Monsieur Pigal, votre statue
Me fait mille fois trop d’honneur.
Jean-Jacque a dit avec candeur
Que c’est à lui qu’elle était due[1].
Quand votre ciseau s’évertue
À sculpter votre serviteur,
Vous agacez l’esprit railleur
De certain peuple rimailleur
Qui depuis si longtemps me hue, etc.[2].

Il avait bien raison de dire que cet honneur inespéré qu’on lui faisait déchaînerait contre lui les écrivains du Pont-Neuf et du fanatisme. Il écrivit à M. Thieriot[3] : « Tous ces messieurs méritent bien mieux des statues que moi, et j’avoue qu’il en est quelques-uns très-dignes d’être en effigie dans la place publique. »

Les Nonotte, les Fréron, les Sabatier, et consorts, jetèrent les

  1. Jean-Jacques Rousseau de Genève, dans une lettre à M. l’archevêque de Paris, qu’il intitule Jean-Jacques à Christophe, dit modestement qu’il est devenu homme de lettres par son mépris pour cet état. Et après avoir prié Christophe de lire son roman de la Suissesse Héloïse, qui, étant fille, accouche d’un faux germe, il conclut, page 127, que tous les gouvernements bien policés lui doivent élever des statues. (Note de Voltaire.)

    — Jean-Jacques Rousseau souscrivit pour la statue de M. de Voltaire. (K.)

  2. Voltaire a depuis corrigé cette épître, et c’est avec les nouvelles corrections qu’on la trouve dans les Épîtres, tome X.
  3. La lettre à Thieriot où étaient les mots rapportés par Voltaire ne m’est pas connue. (B.)