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COMMENTAIRE


que Voltaire sera encore traduit dans la langue qui lui aura succédé. Cependant, rempli du plaisir que m’ont fait ses productions si variées, et chacune si parfaite en son genre, je ne pourrais sans ingratitude me refuser à la proposition que vous me faites de contribuer au monument que lui élève la reconnaissance publique. Vous n’avez qu’à m’informer de ce qu’on exige de ma part, je ne refuserai rien pour cette statue, plus glorieuse pour les gens de lettres qui la lui consacrent que pour Voltaire même. On dira que dans ce xviiie siècle, où tant de gens de lettres se déchiraient par envie, il s’en est trouvé d’assez nobles, d’assez généreux, pour rendre justice à un homme doué de génie et de talents supérieurs à tous les siècles : que nous avons mérité de posséder Voltaire : et la postérité la plus reculée nous enviera encore cet avantage. Distinguer les hommes célèbres, rendre justice au mérite, c’est encourager les talents et la vertu ; c’est la seule récompense des belles âmes ; elle est bien due à tous ceux qui cultivent supérieurement les lettres ; elles nous procurent les plaisirs de l’esprit, plus durables que ceux du corps ; elles adoucissent les mœurs les plus féroces ; elles répandent leur charme sur tout le cours de la vie ; elles rendent notre existence supportable, et la mort moins affreuse. Continuez donc, messieurs, de protéger et de célébrer ceux qui s’y appliquent, et qui ont le bonheur, en France, d’y réussir : ce sera ce que vous pourrez faire de plus glorieux pour votre nation, et qui obtiendra grâce du siècle futur pour quelques autres Welches et Hérules qui pourraient flétrir votre patrie.

« Adieu, mon cher d’Alembert : portez-vous bien, jusqu’à ce qu’à votre tour votre statue vous soit élevée. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

« Fédéric[1] »
  1. On a cru devoir placer ici les deux lettres suivantes de M. d’Alembert :
    Lettre de M. d’Alembert au roi de Prusse.

    « Sire, je supplie très-humblement Votre Majesté de pardonner la liberté que je vais prendre, à la respectueuse confiance que ses bontés m’ont inspirée, et qui m’encouragent à lui demander une nouvelle grâce.

    « Une société considérable de philosophes et d’hommes de lettres a résolu, sire, d’ériger une statue à M. de Voltaire, comme à celui de tous nos écrivains à qui la philosophie et les lettres sont le plus redevables. Les philosophes et les gens de lettres de toutes les nations vous regardent, sire, depuis longtemps comme leur chef et leur modèle. Qu’il serait flatteur et honorable pour nous qu’en cette occasion Votre Majesté voulût bien permettre que son auguste et respectable nom fût à la tête des nôtres ! Elle donnerait à M. de Voltaire, dont elle