Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
HISTORIQUE.


Elle avait fait un présent de cinquante mille livres à M. Diderot, avec une grâce et une circonspection qui relevaient bien le prix de son présent. Elle avait offert à M. d’Alembert de le mettre à la tête de l’éducation de son fils[1], avec soixante mille livres de rente. Mais ni la santé, ni la philosophie de M. d’Alembert ne lui avaient permis d’accepter à Pétersbourg un emploi égal à celui du duc de Montausier à Versailles, Elle envoya M. le prince de Koslouski présenter de sa part, à M. de Voltaire, les plus magnifiques pelisses, et une boîte tournée de sa main même, ornée de son portrait et de vingt diamants. On croirait que c’est l’histoire d’Aboulcassem dans les Mille et une Nuits.

M. de Voltaire lui mandait qu’il fallait qu’elle eût pris tout le trésor de Moustapha dans une de ses victoires ; et elle lui répondit[2] qu’avec de l’ordre on est toujours riche, et qu’elle ne manquerait, dans cette grande guerre, ni d’argent, ni de soldats ». Elle a tenu parole.

Cependant le fameux sculpteur M. Pigalle travaillait dans Paris à la statue du solitaire caché dans Ferney. Ce fut une étrangère qui proposa un jour, en 1770, à quelques véritables gens de lettres de lui faire cette galanterie, pour le venger de tous les plats libelles et des calomnies ridicules que le fanatisme et la basse littérature ne cessaient d’accumuler contre lui. Mme  Necker, femme du résident de Genève, conçut ce projet la première. C’était une dame d’un esprit très-cultivé, et d’un caractère supérieur, s’il se peut, à son esprit. Cette idée fut saisie avidement par tous ceux qui venaient chez elle, à condition qu’il n’y aurait que des gens de lettres qui souscriraient pour cette entreprise[3].

Le roi de Prusse, en qualité d’homme de lettres, et ayant assurément plus que personne droit à ce titre et à celui d’homme de génie, écrivit au célèbre M. d’Alembert, et voulut être des premiers à souscrire. Sa lettre, du 28 juillet 1770, est consignée dans les archives de l’Académie :

« Le plus beau monument de Voltaire est celui qu’il s’est érigé lui-même : ses ouvrages. Ils subsisteront plus longtemps que la basilique de Saint-Pierre, le Louvre, et tous ces bâtiments que la vanité consacre à l’éternité. On ne parlera plus français,

  1. Devenu empereur sous le nom de Paul Ier.
  2. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire à Catherine, du 10 mars 1770.
  3. M. de Voltaire était mal informé. Il faut restituer aux gens de lettres français l’honneur d’avoir rendu cet hommage à M. de Voltaire. (K.)