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HISTORIQUE.

raire, qui osa jeter des doutes, dans ses ridicules feuilles, sur l’innocence de ceux que le roi, tout son conseil, et tout le public, avaient justifiés si pleinement.

Plusieurs gens de bien engagèrent alors M. de Voltaire à écrire son Traité de la Tolérance[1], qui fut regardé comme un de ses meilleurs ouvrages en prose, et qui est devenu le catéchisme de quiconque a du bon sens et de l’équité.

Dans ce temps-là même l’impératrice Catherine II, dont le nom sera immortel, donnait des lois à son empire, qui contient la cinquième partie du globe ; et la première de ses lois est l’établissement d’une tolérance universelle.

C’était la destinée de notre solitaire des frontières helvétiques de venger l’innocence accusée et condamnée en France. La position de sa retraite entre la France, la Suisse, Genève et la Savoie, lui attirait plus d’un infortuné. Toute la famille Sirven, condamnée à la mort dans un bourg auprès de Castres par les juges les plus ignorants et les plus cruels, se réfugia auprès de ses terres. Il fut occupé huit années entières à leur faire rendre justice, et ne se rebuta jamais. Il en vint enfin à bout.

Nous croyons très-utile de remarquer ici qu’un magistrat de village nommé Trinquet, procureur du roi dans la juridiction qui condamna la famille Sirven à la mort, donna ainsi ses conclusions : « Je requiers, pour le roi, que N. Sirven et N. sa femme, dûment atteints et convaincus d’avoir étranglé et noyé leur fille, soient bannis de la paroisse. »

Rien ne fait mieux voir l’effet que peut avoir dans un royaume la vénalité des charges de judicature.

Son bonheur, qui voulait, à ce qu’il dit, qu’il fût l’avocat des causes perdues, voulut encore qu’il arrachât des flammes une citoyenne de Saint-Omer, nommée Montbailli, condamnée à être brûlée vive par le tribunal d’Arras. On n’attendait que l’accouchement de cette femme pour la transporter au lieu de son supplice. Son mari avait déjà expiré sur la roue. Qui étaient ces deux victimes ? deux exemples de l’amour conjugal et de l’amour maternel, deux âmes les plus vertueuses dans la pauvreté. Ces innocentes et respectables créatures avaient été accusées de parricide, et jugées sur des allégations qui auraient paru ridicules aux condamnateurs mêmes de Calas. M. de Voltaire fut assez heureux pour obtenir de M. le chancelier de Maupeou qu’il fît revoir le procès. La dame Montbailli fut déclarée inno-

  1. Voyez ce Traité, tome XXV, page 13.