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HISTORIQUE.

Le bon de l’affaire, c’est que, peu de temps après, lorsqu’on délivra la France des révérends pères jésuites, ces mêmes gentilshommes, dont les bons pères avaient voulu ravir le bien, achetèrent celui des jésuites, qui était contigu. M. de Voltaire, qui avait toujours combattu les athées et les jésuites, écrivit qu’il fallait reconnaître une Providence.

Ce n’était assurément ni par haine pour le Père Fesse, ni par aucune envie de mortifier les jésuites, qu’il avait entrepris cette affaire ; puisque, après la dissolution de la société, il recueillit un jésuite chez lui[1], et que plusieurs autres lui ont écrit pour le supplier de les recevoir aussi dans sa maison. Mais il s’est trouvé parmi les ex-jésuites quelques esprits qui n’ont point été si équitables et si accommodants. Deux d’entre eux, nommés Patouillet et Nonotte, ont gagné quelque argent par des libelles contre lui ; et ils n’ont pas manqué, selon l’usage, d’appeler la religion catholique à leur secours. Un Nonotte surtout s’est signalé par une demi-douzaine de volumes[2], dans lesquels il a prodigué moins de science que de zèle, et moins de zèle que d’injures. M. Damilaville, l’un des meilleurs coopérateurs de l’Encyclopédie, a daigné le confondre, comme autrefois Pasquier s’abaissa jusqu’à réprimer l’insolence absurde du jésuite Garasse.

Mais voici la plus étrange et la plus fatale aventure qui soit arrivée depuis longtemps, et en même temps la plus glorieuse au roi, à son conseil, et à messieurs les maîtres des requêtes. Qui aurait cru que ce serait des glaces du mont Jura et des frontières de la Suisse que partiraient les premières lumières et les premiers secours qui ont vengé l’innocence des célèbres Calas ? Un enfant de quinze ans, Donat Calas, le dernier des fils de l’infortuné Calas, était apprenti chez un marchand de Nîmes, lorsqu’il apprit par quel horrible supplice sept juges de Toulouse, malheureusement prévenus, avaient fait périr son vertueux père.

La clameur populaire contre cette famille était si violente en Languedoc que tout le monde s’attendait à voir rouer tous les enfants de Calas, et brûler la mère. Telles avaient été même les conclusions du procureur général, tant on prétend que cette famille innocente s’était mal défendue, accablée de son malheur,

  1. Le Père Adam.
  2. Les Erreurs de Voltaire, en deux volumes, et le Dictionnaire philosophique de la religion, en quatre volumes.