Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
HISTORIQUE.

nom si respectable. M. Dumolard, membre de plusieurs académies, connu par une dissertation savante et judicieuse sur les tragédies d’Électre ancienne et moderne[1], et M. Le Brun, secrétaire du prince de Conti, se joignirent à lui, et écrivirent à M. de Voltaire. Il les remercia de l’honneur qu’ils lui faisaient de jeter les yeux sur lui, en leur mandant que c’était en effet à un vieux soldat de servir la petite-fille de son général[2]. La jeune personne vint donc, en 1760, aux Délices, maison de campagne auprès de Genève, et de là au château de Ferney. Mme  Denis voulut bien achever son éducation ; et, au bout de trois ans, M. de Voltaire la maria à M. Dupuits, du pays de Gex, capitaine de dragons, et depuis officier de l’état-major. Outre la dot qu’il leur donna, et le plaisir qu’il eut de les garder chez lui, il proposa de commenter les œuvres de Pierre Corneille au profit de sa nièce, et de les faire imprimer par souscription. Le roi de France voulut bien souscrire pour huit mille francs ; d’autres souverains l’imitèrent. M. le duc de Choiseul, dont la générosité était si connue, Mme  la duchesse de Grammont, Mme  de Pompadour, souscrivirent pour des sommes considérables. M. de La Borde, banquier du roi, non-seulement prit plusieurs exemplaires, mais il en fit débiter un si grand nombre qu’il fut le premier mobile de la fortune de Mme  Corneille par son zèle et par sa magnificence ; de sorte qu’en très-peu de temps elle eut cinquante mille francs pour présent de noces.

Il y eut dans cette souscription si prompte une chose fort remarquable de la part de Mme  Geoffrin, femme célèbre par son mérite et par son esprit. Elle avait été exécutrice du testament du fameux Bernard de Fontenelle, neveu de Pierre Corneille ; et malheureusement il avait oublié cette parente, qui lui fut présentée trop peu de temps avant sa mort, mais qui fut rebutée avec son père et sa mère : on les regardait comme des inconnus qui usurpaient le nom de Corneille. Des amis de cette famille, touchés de son sort, mais fort indiscrets et fort mal instruits, intentèrent un procès téméraire à Mme  Geoffrin, trouvèrent un avocat qui, abusant de la liberté du barreau, publia contre cette dame un factum injurieux. Mme  Geoffrin, très-injustement attaquée, gagna le procès tout d’une voix. Malgré ce mauvais procédé, qu’elle eut la noblesse d’oublier, elle fut la première à souscrire pour une somme considérable.

  1. Elle est imprimée à la fin de la tragédie d’Oreste (tome V, page 167).
  2. Lettre à Le Brun, du 7 novembre 1760.