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COMMENTAIRE

Tout cela fut bientôt oublié de part et d’autre, comme de raison. Le roi rendit ses vers à son ancien admirateur, et en renvoya bientôt de nouveaux et en très-grand nombre. C’était une querelle d’amants : les tracasseries des cours passent, mais le caractère d’une belle passion dominante subsiste longtemps.

Le voyageur français, en relisant avec attendrissement la lettre éloquente et touchante du roi, que nous avons transcrite, disait : Après une telle lettre, je ne peux qu’avoir eu un très-grand tort.

L’échappé de Berlin avait un petit bien en Alsace sur des terres qui appartiennent à monseigneur le duc de Wurtemberg. Il y alla, et s’amusa, comme je l’ai déjà dit, à faire imprimer les Annales de l’Empire, dont il lit présent à Jean-Frédéric Schœpflin, libraire à Colmar, frère du célèbre Schœpflin[1], professeur en histoire à Strasbourg. Ce libraire était mal dans ses affaires ; M. de Voltaire lui prêta dix mille livres ; sur quoi je ne puis assez m’étonner de la bassesse avec laquelle tant de barbouilleurs de papier ont imprimé qu’il avait fait une fortune immense par la vente continuelle de ses ouvrages.

    suis assurément prêt à le rendre comme tout le reste : et, dès qu’il sera retrouvé, je le rendrai ou le ferai rendre. Cet écrit, qui n’était point un contrat, mais un pur effet de la bonté du roi, ne tirant à aucune conséquence, était sur un papier de la moitié plus petit que celui que Darget porta de ma chambre à l’appartement du roi à Potsdam. Il ne contenait autre chose que des remerciements de ma part de la pension dont Sa Majesté le roi de Prusse me gratifiait avec la permission du roi mon maître, de celle qu’il accordait à ma nièce après ma mort, et de la croix et de la clef de chambellan.

    Le roi de Prusse avait daigné mettre au bas de ce petit feuillet, autant qu’il m’en souvient : « Je signe de grand cœur le marché que j’avais envie de faire il y a plus de quinze ans. » Ce papier, absolument inutile à Sa Majesté, à moi, au public, sera certainement rendu dès qu’il sera retrouvé parmi mes autres papiers. Je ne peux ni ne veux en faire le moindre usage. Pour lever tout soupçon, je me déclare criminel de lèse-majesté envers le roi de France, mon maître, et le roi de Prusse, si je ne rends le papier à l’instant qu’il sera entre mes mains.

    Ma nièce, qui est auprès de moi dans ma maladie, s’engage, sous le même serment, à le rendre si elle le retrouve. En attendant que je puisse avoir communication de mes papiers à Paris, j’annulle entièrement ledit écrit ; je déclare ne prétendre rien de Sa Majesté le roi de Prusse, et je n’attends rien, dans l’état cruel où je suis, que la compassion que doit sa grandeur d’âme à un homme mourant, qui avait tout sacrifié et qui a tout perdu pour s’attacher à lui, qui l’a servi avec zèle, qui lui a été utile, qui n’a jamais manqué à sa personne, et qui comptait sur la bonté de son cœur.

    Je suis obligé de dicter, ne pouvant écrire. Je signe avec le plus profond respect, la plus pure innocence, et la douleur la plus vive.

    Voltaire. »

  1. Jean-Daniel Schœpflin, né à Salzbourg en 1694 ; mort en 1771. Voltaire a fait mention de son Alsatia illustrata (1751-61, 2 vol. in-fol.), dans une note des Lois de Minos, tome VII, page 182.