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COMMENTAIRE.

qu’il essuyait à chaque pièce qu’il faisait représenter ne pouvaient l’arracher à son goût, puisqu’il donna la comédie de l’Enfant prodigue le 10 octobre 1736 ; mais il ne la donna point sous son nom, et il en laissa le profit à deux jeunes élèves qu’il avait formés, MM. Linant[1] et Lamare[2] qui vinrent à Cirey, où il était avec Mme  du Châtelet. Il donna Linant pour précepteur au fils de Mme  du Châtelet, qui a été depuis lieutenant général des armées, et ambassadeur à Vienne et à Londres. La comédie de l’Enfant prodigue eut un grand succès. L’auteur écrivit à Mlle  Quinault[3] : « Vous savez garder les secrets d’autrui comme les vôtres. Si l’on m’avait reconnu, la pièce aurait été sifflée. Les hommes n’aiment pas qu’on réussisse en deux genres. Je me suis fait assez d’ennemis par Œdipe et la Henriade. »

Cependant il embrassait dans ce temps-là même un genre d’étude tout différent : il composait les Éléments de la philosophie de Newton, philosophie qu’alors on ne connaissait presque point en France. Il ne put obtenir un privilége du chancelier d’Aguesseau, magistrat d’une science universelle, mais qui, ayant été élevé dans le système cartésien, écartait les nouvelles découvertes autant qu’il pouvait. L’attachement de notre auteur pour les principes de Newton et de Locke lui attira une foule de nouveaux ennemis. Il écrivait à M. Falkener, le même auquel il avait dédié Zaïre : « On croit que les Français aiment la nouveauté, mais c’est en fait de cuisine et de modes : car pour les vérités nouvelles, elles sont toujours proscrites parmi nous : ce n’est que quand elles sont vieilles qu’elles sont bien reçues, etc. »

Nous avons recouvré une lettre qu’il écrivit longtemps après à M. Clairaut sur ces matières abstraites ; elle paraît mériter d’être conservée. On la trouvera à son rang dans ce recueil[4].

Pour se délasser des travaux de la physique, il s’amusa à faire le poëme de la Pucelle. Nous avons des preuves que cette plaisanterie fut presque composée tout entière à Cirey. Mme  du Châtelet aimait les vers autant que la géométrie, et s’y connais-

  1. Voyez tome XXXIII, page 243.
  2. Voyez tome XXXIII, page 574.
  3. La lettre à Mlle  Quinault, où se trouvait le passage rapporté ici, n’a point été imprimée.
  4. Cette lettre se trouvait parmi celles qui sont à la suite du Commentaire historique dans la première édition de cet écrit. Elle y était sans date, je lui ai mis celle du 27 août 1759. (B.) — Voyez tome XL, page 158.