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COMMENTAIRE

à la comédie italienne, à la Foire ; on l’appela la pièce des Enfants trouvés, Arlequin au Parnasse[1].

Un académicien l’ayant proposé en ce temps-là pour remplir une place vacante à laquelle notre auteur ne songeait point, M. de Boze déclara que l’auteur de Brutus et de Zaïre ne pouvait jamais devenir un sujet académique.

Il était lié alors avec l’illustre marquise du Châtelet, et ils étudiaient ensemble les principes de Newton et les systèmes de Leibnitz. Ils se retirèrent plusieurs années à Cirey en Champagne ; M. Koenig, grand mathématicien, y vint passer deux ans entiers. M. de Voltaire y fit bâtir une galerie, où l’on fit toutes les expériences alors connues sur la lumière et sur l’électricité. Ces occupations ne l’empêchèrent pas de donner, le 27 janvier 1736, la tragédie d’Alzire ou des Américains, qui eut un grand succès. Il attribua cette réussite à son absence ; il disait : Laudantur ubi non sunt, sed cruciantur ubi sunt[2].

Celui qui se déchaîna le plus contre Alzire fut l’ex-jésuite Desfontaines. Cette aventure est assez singulière : ce Desfontaines avait travaillé au Journal des Savants sous M. l’abbé Bignon, et en avait été exclu en 1723. Il s’était mis à faire des espèces de journaux pour son compte : il était ce que M. de Voltaire appelle un folliculaire. Ses mœurs étaient assez connues. Il avait été pris en flagrant délit avec de petits savoyards, et mis en prison à Bicêtre. On commençait à instruire son procès, et on voulait le faire brûler, parce qu’on disait que Paris avait besoin d’un exemple. M. de Voltaire employa pour lui la protection de Mme  la marquise de Prie. Nous avons encore une des lettres que Desfontaines écrivit à son libérateur : elle a été imprimée parmi les Lettres du marquis d’Argens[3], page 228, tome Ier : « Je n’oublierai jamais les obligations que je vous ai ; votre bon cœur est encore au-dessus de votre esprit, ma vie doit être employée à vous marquer ma reconnaissance. Je vous conjure d’obtenir encore que la lettre de cachet qui m’a tiré de Bicêtre, et qui m’exile à trente lieues de Paris, soit levée, etc. »

Quinze jours après, le même homme imprime un libelle diffamatoire contre celui pour lequel il devait employer sa vie. C’est ce que je découvre par une lettre de M. Thieriot, du 16 août,

  1. Sur ces deux parodies, voyez la note, tome II, page 536.
  2. Phrase de saint Augustin.
  3. Cette lettre est du 31 mai. La date de l’année n’y est pas ; mais elle est de 1724. (Note de Voltaire). — Voyez cette lettre dans la Correspondance.