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MÉMOIRES.

la galiote de Saint-Cloud et le coche d’Auxerre ; notre Berryer[1], dis-je, s’était mis dans la tête de faire un bel armement naval pour opérer une descente en Angleterre à peine notre flotte a-t-elle mis le nez hors de Brest qu’elle a été battue par les Anglais, brisée par les rochers, détruite par les vents, ou engloutie dans la mer.

Nous avons eu pour contrôleur général des finances un Silhouette que nous ne connaissions que pour avoir traduit en prose quelques vers de Pope[2] ; il passait pour un aigle : mais, en moins de quatre mois, l’aigle s’est changé en oison. Il a trouvé le secret d’anéantir le crédit, au point que l’État a manqué d’argent tout d’un coup pour payer les troupes. Le roi a été obligé d’envoyer sa vaisselle à la Monnaie ; une bonne partie du royaume a suivi cet exemple.

12 février 1760.

Enfin, après quelques perfidies du roi de Prusse, comme d’avoir envoyé à Londres des lettres que je lui avais confiées, d’avoir voulu semer la zizanie entre nous et nos alliés, toutes perfidies très-permises à un grand roi, surtout en temps de guerre, je reçois des propositions de paix de la main du roi de Prusse, non sans quelques vers : il faut toujours qu’il en fasse. Je les envoie à Versailles ; je doute qu’on les accepte ; il ne veut rien céder, et il propose, pour dédommager l’électeur de Saxe, qu’on lui donne Erfurth, qui appartient à l’électeur de Mayence : il faut toujours qu’il dépouille quelqu’un ; c’est sa façon. Nous verrons ce qui résultera de ces idées, et surtout de la campagne qu’on va faire.

Comme cette grande et horrible tragédie est toujours mêlée de comique, on vient d’imprimer à Paris les Poëshies du roi mon maître[3], comme disait Freytag ; il y a une épître au maréchal Keith[4], dans laquelle il se moque beaucoup de l’immortalité de

  1. Nicolas-René Berryer, lieutenant général de police en 1747, fut, le 1er novembre 1758, nommé ministre de la marine, et, le 13 octobre 1761, garde des sceaux : il mourut le 15 août 1762.
  2. Étienne de Silhouette, nommé contrôleur général le 8 mars 1759, se retira le 21 novembre de la même année. Sa traduction en prose de l’Essai sur l’homme avait paru pour la première fois en 1736. Il est mort le 22 janvier 1767.
  3. Voyez page 41. Il parut, en 1760, diverses éditions des Poésies diverses, ou Œuvres du philosophe de Sans-Souci.
  4. C’est l’épître dix-huitième, intitulée : Au maréchal Keith ; imitation du livre III de Lucrèce, sur les vaines terreurs de la mort et les frayeurs d’une autre vie.