Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
MÉMOIRES.

temps de la Fronde ; il n’y manquait que la guerre civile ; mais, comme Paris n’avait ni un roi des halles tel que le duc de Beaufort, ni un coadjuteur donnant la bénédiction avec un poignard, il n’y eut que des tracasseries civiles : elles avaient commencé par des billets de banque pour l’autre monde, inventés, comme j’ai déjà dit[1] par l’archevêque de Paris, Beaumont, homme opiniâtre, faisant le mal de tout son cœur par excès de zèle, un fou sérieux, un vrai saint dans le goût de Thomas de Cantorbéry. La querelle s’échauffa pour une place à l’hôpital, à laquelle le parlement de Paris prétendait nommer, et que l’archevêque réputait place sacrée, dépendante uniquement de l’Église. Tout Paris prit parti ; les petites factions janséniste et moliniste ne s’épargnèrent pas ; le roi les voulut traiter comme on fait quelquefois les gens qui se battent dans la rue ; on leur jette des seaux d’eau pour les séparer. Il donna le tort aux deux partis, comme de raison : mais ils n’en furent que plus envenimés : il exila l’archevêque, il exila le parlement ; mais un maître ne doit chasser ses domestiques que quand il est sûr d’en trouver d’autres pour les remplacer ; la cour fut enfin obligée de faire revenir le parlement, parce qu’une chambre nommée royale, composée de conseillers d’État et de maîtres des requêtes, érigée pour juger les procès, n’avait pu trouver pratique. Les Parisiens s’étaient mis dans la tête de ne plaider que devant cette cour de justice qu’on appelle parlement. Tous ses membres furent donc rappelés, et crurent avoir remporté une victoire signalée sur le roi. Ils l’avertirent paternellement, dans une de leurs remontrances, qu’il ne fallait pas qu’il exilât une autre fois son parlement, attendu, disaient-ils, que cela était de mauvais exemple. Enfin ils en firent tant que le roi résolut au moins de casser une de leurs chambres, et de réformer les autres. Alors ces messieurs donnèrent tous leur démission, excepté la grand’chambre ; les murmures éclatèrent : on déclamait publiquement au Palais contre le roi. Le feu qui sortait de toutes les bouches prit malheureusement à la cervelle d’un laquais, nommé Damiens, qui allait souvent dans la grand’salle. Il est prouvé par le procès de ce fanatique de la robe qu’il n’avait pas l’idée de tuer le roi, mais seulement celle de lui infliger une petite correction. Il n’y a rien qui ne passe par la tête des hommes. Ce misérable avait été cuistre au collège des jésuites, collége où j’ai vu quelquefois les écoliers

  1. Voyez page 35.