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MÉMOIRES.

Que ce souffle, cette étincelle.
Ce feu vivifiant des corps organisés,
N’est point de nature immortelle.
Il naît avec le corps, s’accroît dans les enfants.
Souffre de la douleur cruelle ;

Il s’égare, il s’éclipse, il baisse avec les ans.
Sans doute il périra quand la nuit éternelle
Viendra nous arracher du nombre des vivants…
Vaincu, persécuta, fugitif dans le monde.
Trahi par des amis pervers,

Je souffre, en ma douleur profonde,
Plus de maux dans cet univers

Que, dans les fictions de la fable féconde,
N’en a jamais souffert Prométhée aux enfers.
Ainsi, pour terminer mes peines.
Comme ces malheureux au fond de leurs cachots.
Las d’un destin cruel, et trompant leurs bourreaux,
D’un noble effort brisent leurs chaînes ;

Sans m’embarrasser des moyens,
Je romps les funestes liens
Dont la subtile et fine trame
À ce corps rongé de chagrins
Trop longtemps attacha mon âme.
Tu vois, dans ce cruel tableau.
De mon trépas la juste cause.

Au moins ne pense pas du néant du caveau,
Que j’aspire à l’apothéose….
Mais lorsque le printemps, paraissant de nouveau,
De son sein abondant t’offre des fleurs écloses,
Chaque fois d’un bouquet de myrtes et de roses
Souviens-toi d’orner mon tombeau.

Il m’envoya cette épître écrite de sa main. Il y a plusieurs hémistiches pillés de l’abbé de Chaulieu et de moi. Les idées sont incohérentes, les vers en général mal faits, mais il y en a de bons ; et c’est beaucoup pour un roi de faire une épître de deux cents mauvais vers dans l’état où il était. Il voulait qu’on dît qu’il avait conservé toute la présence et toute la liberté de son esprit dans un moment où les hommes n’en ont guère.

La lettre qu’il m’écrivit[1] témoignait les mêmes sentiments ; mais il y avait moins de myrtes et de roses, et d’Ixion et de douleur profonde. Je combattis en prose[2] la résolution qu’il

  1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Frédéric, du 9 octobre 1757.
  2. Voyez la lettre de Voltaire, du 13 novembre 1757.