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MÉMOIRES.

de l’exécration du peuple de Metz. Ce fut pour cette action que le peuple de Paris, aussi sot que celui de Metz, donna à Louis XV le surnom de Bien-Aimé[1]. Un polisson, nommé Vadé, imagina ce titre, que les almanachs prodiguèrent. Quand ce prince se porta bien, il ne voulut être que le bien-aimé de sa maîtresse. Ils s’aimèrent plus qu’auparavant. Elle devait rentrer dans son ministère ; elle allait partir de Paris pour Versailles, quand elle mourut subitement des suites de la rage que sa démission lui avait causée. Elle fut bientôt oubliée.

Il fallait une maîtresse. Le choix tomba sur la demoiselle Poisson, fille d’une femme entretenue et d’un paysan de la Ferté-sous-Jouarre, qui avait amassé quelque chose à vendre du blé aux entrepreneurs des vivres. Ce pauvre homme était alors en fuite, condamné pour quelque malversation. On avait marié sa fille au sous-fermier Le Normand, seigneur d’Étiole, neveu du fermier général Le Normand de Tournehem, qui entretenait la mère. La fille était bien élevée, sage, aimable, remplie de grâces et de talents, née avec du bon sens et un bon cœur. Je la connaissais assez : je fus même le confident de son amour. Elle m’avouait qu’elle avait toujours eu un secret pressentiment qu’elle serait aimée du roi, et qu’elle s’était senti une violente inclination pour lui.

Cette idée, qui aurait pu paraître chimérique dans sa situation, était fondée sur ce qu’on l’avait souvent menée aux chasses que faisait le roi dans la forêt de Sénars. Tournehem, l’amant de sa mère, avait une maison de campagne dans le voisinage. On promenait Mme  d’Étiole dans une jolie calèche. Le roi la remarquait, et lui envoyait souvent des chevreuils. Sa mère ne cessait de lui dire qu’elle était plus jolie que Mme  de Chateauroux, et le bonhomme Tournehem s’écriait souvent : « Il faut avouer que la fille de Mme  Poisson est un morceau de roi. » Enfin, quand elle eut tenu le roi entre ses bras, elle me dit qu’elle croyait fermement à la destinée ; et elle avait raison. Je passai quelques mois avec elle à Étiole, pendant que le roi faisait la campagne de 1746.

Cela me valut des récompenses qu’on n’avait jamais données ni à mes ouvrages ni à mes services. Je fus jugé digne d’être l’un des quarante membres inutiles de l’Académie. Je fus nommé historiographe de France ; et le roi me fit présent d’une

  1. Voyez la note, tome XXIII, pages 268-269.