Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
AVERTISSEMENT.

motif : ils sont odieux et avilis ; mais le rôle d’Ariane fait tout pardonner[1]. Dans Bajazet, Roxane n’est point intéressante ; elle trahit Amurat, son amant et son bienfaiteur. Sa passion est celle d’une esclave violente et intéressée ; mais cette passion est peinte par un grand maître. Le rôle de Bajazet, quoique faible, est noble. C’est malgré lui qu’Acomat et Atalide l’ont engagé dans une intrigue dont il rougit. Celui d’Atalide est touchant, d’une sensibilité douce et vraie.

Racine est le premier qui ait mis sur le théâtre des femmes tendres sans être passionnées, telles qu’Atalide, Monime, Junie, Iphigénie, Bérénice. Il n’en avait trouvé de modèles, ni chez les Grecs, ni chez aucun peuple moderne, excepté dans les pastorales italiennes. L’art de rendre ces caractères dignes de la tragédie lui appartient tout entier. À la vérité, ces rôles ne sont point d’un grand effet au théâtre, à moins qu’ils ne soient joués par une actrice dont la figure et la voix soient dignes des vers de Racine ; mais ils feront toujours les délices des âmes tendres, et des hommes sensibles aux charmes de la belle poésie.

M. de Voltaire admirait le rôle d’Acomat. Ce rôle et celui de Burrhus sont encore de ces beautés dont Racine n’avait point eu de modèles. En travaillant le même sujet que Racine et Corneille, M. de Voltaire voulut que ni l’amante abandonnée, ni le héros, ni l’amante préférée, ne fussent avilis. C’est d’après cette idée que toute sa pièce a été combinée.

La fuite de Zulime, sa révolte contre son père, sont des crimes ; mais il n’y a dans ces crimes ni trahison ni cruauté. Hermione, Roxane, Phèdre, intéressent par leurs malheurs, et surtout par l’excès de leur passion ; mais les crimes qu’elles commettent ne sont pas de ces actions où la passion peut conduire des âmes vertueuses. Les emportements de Zulime, au contraire, sont ceux d’une âme entraînée par son amour, mais née pour la vertu, que

    lettre du 13 avril 1774. La Cabale, l’un des personnages de la parodie, dit au public :

    Du temps qui détruit tout l’auteur est la victime :
    Souvenez-vous de lui ; mais oubliez Zulime.

    Les Mémoires secrets du 12 février 1762 attribuent au comte de Turpin l’épigramme :

    Du temps qui détruit tout Voltaire est la victime ;
    Souvenez-vous de lui ; mais oubliez Zulime.

    Je ne sais qui de Cailleau ou de Turpin a le premier écrit ces vers, qui sont une imitation des deux derniers vers de la tragédie. On publia aussi une Lettre de M. D. R., à M. de S. R., sur la Zulime de M. de Voltaire, et sur l’Écueil du Sage, du même auteur ; Genève (Paris), 1762, in-8o.

    Voltaire venait de mourir quand Laharpe inséra une critique de Zulime dans le Mercure de Juin 1778. Une défense de Voltaire, signée par le marquis de Villevieille, fut imprimée dans le Journal de Paris du 10 Juillet : la réponse de Laharpe est dans la feuille du lendemain, et une réplique de Villevieille dans celle du 14. Une réponse assez longue de Laharpe est dans le Mercure du 15 Juillet. Laharpe croyait Condorcet auteur des lettres signées Villevieille. (B.)

  1. Ariane est de Thomas Corneille.