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DISSERTATION SUR LA TRAGÉDIE. 503

ment ; c’est une consolation pour le faible, c’est un frein pour le pervers qui est puissant :

Du ciel, quand il le faut, la justice suprême Suspend l’ordre éternel établi par lui-même ; II permet à la mort d’interrompre ses lois, Pour l’effroi de la terre et /exemple des rois.

Voilà ce que dit à Sémiramis le pontife de Babylone*, et ce que le successeur de Samuel aurait pu dire à Saûl quand Tombre de Samuel vint lui annoncer sa condamnation*.

Je vais plus avant, et j’ose affirmer que, lorsqu’un tel prodige est annoncé dans le commencement d’une tragédie, quand il est préparé, quand on est parvenu enfin jusqu’au point de le rendre nécessaire, de le faire désirer même par les spectateurs, il se place alors au rang des choses naturelles.

On sait bien que ces grands artifices ne doivent pas être prodigués :


Nec deus intersit, nisi dignus vindice nodu^...

HoH., Art poét., 191.

Je ne voudrais pas assurément, à l’imitation d’Euripide, faire descendre Diane à la fin de la tragédie de Phèdre, ni Minerve dans Vlphigènie en Taiiride^. Je ne voudrais pas, comme Shakespeare, faire apparaître à Brutus son mauvais génie. Je voudrais que de telles hardiesses ne fussent employées que quand elles servent à la fois à mettre dans la pièce de l’intrigue et de la terreur : et je voudrais surtout que l’intervention de ces êtres surnaturels ne parût pas absolument nécessaire. Je m’explique : si le nœud d’un poème tragique est tellement embrouillé qu’on ne puisse se tirer d’embarras* que par le secours d’un prodige, le spectateur sent la gêne où l’auteur s’est mis, et la faiblesse de la ressource ; il ne voit qu’un écrivain qui se tire maladroitement d’un mauvais pas. Plus d’illusion, pfils d’intérêt :

Quodeumque ostendis mihi sic, incredulus odi.

HOR., 188.

Mais je suppose que l’auteur d’une tragédie se fût proposé pour 1. III, II.

2. I. Rois^ xiviii.

3. La critique de Voltaire n*est plus du tout acceptée actuellement, et la scène notamment entre Diane et Hippolyte mourant est admirée comme elle doit l’ôtre.