Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/496

Cette page n’a pas encore été corrigée

492 DISSERTATION SUR LA TRAGÉDIE.

Ces deux scènes, comparables à tout ce que la Grèce a eu de plus beau, si elles ne sont pas supérieures ; ces deux scènes, dignes de Corneille quand il n’est pas déclamateur, et de Racine quand il n’est pas faible ; ces deux scènes, qui ne sont pas fondées sur un amour d’opéra, mais sur les nobles sentiments du cœur humain, ont une durée trois fois plus longue au moins que les scènes les plus étendues de nos tragédies en musique. De pareils morceaux ne seraient pas supportés sur notre théâtre lyrique, qui ne se soutient guère que par des maximes de galanterie et par des passions manquées, à l’exception d’Amnde et des belles scènes d’Iphigénie, ouvrages plus admirables qu’imites.

Parmi nos défauts, nous avons, comme vous, dans nos opéras les plus tragiques, une infinité d’airs détachés, mais qui sont plus défectueux que les vôtres, parce qu’ils sont moins liés au sujet. Les paroles y sont presque toujours asservies aux musiciens, qui, ne pouvant exprimer dans leurs petites chansons les termes mâles et énergiques de notre langue, exigent des paroles efféminées, oisives, vagues, étrangères à l’action, et ajustées comme on peut à de petits airs mesurés, semblables à ceux qu’on appelle à Venise barcarolle. Quel rapport, par exemple, entre Thésée, reconnu par son père sur le point d’être empoisonné par lui, et ces ridicules paroles :

Le plus sage lamme et s’ei Sans savoir comment* ?

S’enflamme et s’engage

Malgré ces défauts, j’ose encore penser que nos bonnes tragédies-opéras, telles qyUAtis, Armide, Thésée, étaient ce qui pouvait donner parmi nous quelque idée du théâtre d’Athènes, parce que ces tragédies sont chantées comme celles des Grecs ; parce que le chœur, tout vicieux qu’on l’a rendu, tout fade panégyriste qu’on l’a fait de la morale amoureuse, ressemble pourtant à celui des Grecs, en ce qu’il occupe souvent la scène. Il ne dit pas ce qu’il doit dire, il n’enseigne pas la vertu.

Et regat iratos ; et amet peccare timentes.

(HoR., de Art. f)oet., v. 197.)

Mais enfin il faut avouer que la forme des tragédies-opéras nous retrace la forme de la tragédie grecque à quelques égards. Il m’a

1. Qaiaault, Thésée, V, ix.